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Où l’on explore, à la suite de l’historienne Éliane Viennot, les coulisses du champ littéraire du 19ème siècle, depuis lesquelles les lettrés mènent la guerre aux femmes qui publient des textes.


L'âge d’or de l’ordre masculin de l’historienne Éliane Viennot est le quatrième tome d’une longue enquête, La France, les femmes et le pouvoir, portant sur l’exclusion des sphères du pouvoir dont ont été victimes les femmes. La littérature faisant partie de ces sphères du pouvoir, plus particulièrement au XIXe, il n’est pas étonnant que l’historienne Éliane Viennot s’y soit intéressée, décelant des mécanismes, des stratégies d’invisibilisation de toutes les femmes qui publiaient des textes. Ce constat, loin de se limiter au XIXe siècle, est encore vrai aujourd’hui.


30 septembre 2020 : Le Génie lesbien paraît. Dans les trois jours qui suivent, Alice Coffin, son autrice, devient la cible de la presse et des réseaux sociaux, et donne son nom à une polémique : qui sont ces lectrices qui ne lisent (presque) plus que des livres de femmes ?


Revenons aux quelques phrases du Génie lesbien qui, surlignées de jaune, ont fait grand bruit :



Les éliminer [les hommes] de nos esprits, de nos images, de nos
représentations. Je ne lis plus les livres des hommes, je ne regarde
plus leurs films, je n’écoute plus leurs musiques. J’essaie, du moins.
[…] Plus tard, ils pourront revenir. p. 39



Comment ? on se priverait de Zola, de Hugo et de Flaubert au profit de… de qui au fait ? de quels bas bleus de l’histoire littéraire ? On s’indigne fort, du côté de twitter, de facebook ou au sein des rédactions outrées, et même dans l’université ; une vague de cyberharcèlement sexiste et lesbophobe touche dès lors l’élue et militante féministe. L’AJL [Association des journalistes LGBT] a par ailleurs produit une recension de ces tweets.


Pourtant, au sein du web littéraire, les bookstagrammeuses, les usagères de twitter, les forumeuses s’employaient déjà depuis quelques années, et collectivement, à lire des autrices ; elles n’ont pas attendu Alice Coffin pour le faire, et ces productrices de contenu, à leur habitude, ont fourni un patient travail gratuit de réflexivité et de défrichage.


Ces lectrices du web parlent d’invisibilisation – et s’il y a consensus, c’est bien autour de cet insidieux mécanisme qui rend le travail de « lectrices à autrices » si complexe : elles sont rares, les autrices, dans les manuels scolaires et dans les programmes de concours ; elles sont rares dans les maisons d’édition, dans les catalogues de classiques, et elles sont rares dans les académies ; elles reçoivent peu de prix, enfin, on ne les voit pas : elles sont rendues invisibles.


Derrière ce constat, unanime, si l’on creuse, deux pistes s’offrent à nous :


– on peut considérer que les autrices étaient peu nombreuses, faute d’un lieu à elles ; ou, corollaire, moins éduquées, moins à même d’écrire, des œuvres « valorisées »


– on peut considérer qu’elles étaient là, mais qu’on leur a mis des barrières si infranchissables que leurs œuvres n’ont pu être valorisées ou reconnues ; on les aurait, alors, effacées des mémoires.


Les lectrices du web, dont je suis, savent que ces deux pistes sont vraies, qu’elles se renforcent et se complètent. Stariser trois ou quatre noms d’autrices du passé ne nous rendra pas les kilomètres de textes qui dorment à la BNF, faute d’éditions contemporaines.


Mais que s’est-il exactement passé ? exagérons-nous, lorsque nous évoquons l’invisibilisation des autrices dans l’histoire littéraire ? il se pourrait que, loin d’exagérer, nous ne prenions pas encore bien la mesure de la violence faite aux autrices du passé ; et parmi elles, à celles du XIXe siècle, qui fournit aujourd’hui encore l’essentiel du canon littéraire enseigné en France.


C’est là qu’intervient Éliane Viennot, spécialiste des rapports entre femmes et pouvoir dans l’histoire de France, avec le quatrième tome de sa somme chronologique La France, les femmes et le pouvoir : L’âge d’or de l’ordre masculin (1804-1860), paru en 2020.


On se demandera peut-être ce qu’a en commun une historienne du pouvoir avec des textes littéraires ; et pourquoi mêler politique et valeur des textes ?


C’est que la production de la valeur d’un texte ne se limite pas au moment de son écriture – à ce que Bourdieu, dans Les Règles de l’art , appelle l’idéologie charismatique de la création ; pour comprendre comment advient la valeur littéraire, il faut prendre en compte « l’ensemble des agents et des institutions qui participent à la production de la valeur de l’œuvre » – le texte en premier lieu, bien sûr, mais aussi les éditeurs, préfaciers, critiques, professeurs, chercheurs, libraires, journalistes ou historiens de la littérature ; et il faut les prendre en compte dans une société et à une époque donnée.


Maintenant, c’est simple : si les producteurs seconds de la valeur sont, du fait de la répartition genrée des rôles, en très grande majorité des hommes, il ne faut pas s’étonner qu’une historienne du pouvoir aille gratter là où ça fait mal : dans les recensions de critique littéraire, les préfaces de rééditions d’ouvrages d’autrices ; dans les sommes et les histoires littéraires, enfin, partout où des hommes en situation de pouvoir ont pu participer à la production de la (dé)valorisation littéraire, laquelle s’appuie sur un discours scientiste, très en vogue au XIXe siècle, de la différence des sexes – on devinera aisément quel est le sexe faible.


Lire la suite de cette recension de Marie-Anaïs Guégan sur Littéralutte.

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le 13 mars 2022

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