Par une nuit orageuse de Novembre sur le bord du lac Léman s'est tenu une soirée littéraire entre trois amis : Percy Shelley et Byron, deux pointures de la poésie romantique Anglaise et Mary Shelley, femme de, qui s'apprêtait à faire son entrée en littérature. Comme ils s'ennuyaient, ils décidèrent d'inventer des histoires qui font peur... La pauvre Mary n'eut pas d'inspiration, mais selon la légende, alors qu'elle n'arrivait pas à s'endormir, frustrée de n'avoir pas trouvé son histoire, un éclair perça le ciel, et l'espace d'un instant, elle crut voir une silhouette inhumaine se découper sur le rebord de sa fenêtre.... le monstre de Frankenstein était né.
En 1819 sort cette œuvre magnifique : située dans le creuset de ce premier XIXème romantique, Shelley est influencée par cette esthétique venue d'Allemagne et qui en Angleterre s'est mélangée avec le gothique pour donner le genre fantastique. Frankenstein c'est donc cela : un livre à la croisée de deux esthétiques, le rejeton littéraire de ces deux courants qui a donné naissance au fantastique tel qu'il est popularisé plus tard par Stocker, Poe et H.G. Wells.
Il s'agit avant tout d'un roman épistolaire : un homme part à l'aventure dans le grand Nord et il écrit à sa sœur, restée sur le continent. Perdu dans la glace, il rencontre, au bout du monde, un homme... Victor Frankenstein, à la recherche de l'horreur qu'il a créé.
A partir de là Shelley s'amuse à multiplier les récits enchâssés : le récit de Victor qui occupe les premier et troisième livres, puis le récit du monstre qui occupe le deuxième, et au sein de celui-ci une autre histoire, celle des cottagers : à ce moment là, il s'agit d'un récit dans le récit du monstre dans le récit de Victor dans le récit de l'aventurier... Mais l'attrait de ce bouquin ne se situe pas dans la structure complexe.
L'histoire, tout le monde la connait, c'est devenu un topos littéraire : un scientifique brillant, Victor, décide de percer les secrets de la vie... En reprenant des morceaux de cadavres, il crée un monstre auquel il donne vie... Dès lors il s'aperçoit de l'énormité de son action, il s'enfuit, moitié fou, laissant le monstre seul. Le lecteur apprend dès le second tome ce qu'il est advenu de lui, la façon dont il s'est éduqué en observant des cottagers qu'il imagine être sa famille et grâce à quelques livres (le Werther de Goethe, le parangon du romantisme, les Vies de Plutarque, livre à la mode et le Paradise Lost de Milton, livre du classicisme Anglais dans lequel Satan devient un personnage presque humain; pour cette raison le monstre s'identifie à lui)... Mais sa monstruosité est inaliénable : où qu'il aille, il est rejeté. Une immense haine se forme dans son cœur à l'égard de son créateur qui l'a abandonné.
Ce que j'aime par dessus tout dans ce livre, hormis cette histoire fabuleuse, c'est les questionnements que pose Shelley de manière indirecte. Car le livre, en soit génial, comprend des passages absolument fantastiques lorsque le monstre s'adresse directement à Victor : Le premier, monstrueux, rempli de haine mais profondément humaniste et le second, humain, dégouté, effrayé, voulant tuer ce monstre... Dans ces discours, on se demande qui est l'homme, en fin de compte, parmi les deux ? Plus largement, qu'est-ce qu'un homme et quelles sont ses caractéristiques ? Évidemment, le livre peut être lu dans une optique religieuse : le monstre, l'Homme, s'adressant au Créateur, Victor. Cette lecture très intéressante nous permet de comprendre aussi qui est Dieu, finalement : le meilleur de l'homme ? Quels pourraient-être ses sentiments vis à vis de nous ? L'amalgame entre le monstre et Frankenstein, largement répandue aujourd'hui semble répondre d'emblé à cette question.
Mais au-delà de ça, le monstre, c'est l'Autre. Celui qui ne nous ressemble pas, qui est différent et que l'on attaque. Une métaphore pour désigner les personnes d'autres couleurs, d'autres religions, d'autres cultures contre lesquels l'homme se bat et se défini en creux. Alors Frankenstein prend une toute autre dimension : c'est un livre qui montre la difficulté de s'intégrer face à une communauté qui ne nous ressemble pas et qui nous rejette.
La multitude de ces lectures est le point fort de l'œuvre. Mary Shelley a écrit un livre qui lui échappe totalement : dans une sorte de processus inconscient, l'auteur a réussi à montrer l'Autre tel que l'homme se le représente, ce qui donne un foisonnement de questionnements et de grands thèmes, tous compris dans l'œuvre, ce qui est quelque chose de véritablement fabuleux. Nous avons donc un des premiers livres de fantastique qui parle de l'homme d'une manière humaniste, et qui montre que Shelley avait tout à fait comprit la manière dont il se comporte et la façon dont il façonne son identité en opposition à cet Autre qui nous fait peur.
Un livre indispensable que l'on peut lire sans peine tant l'intrigue se suffit à elle-même, sans forcément vouloir chercher plus loin.
Arcadien
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le 5 mai 2012

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