Au début de Dysphoria Mundi, Preciado nous rappelle combien nous sommes cernés par une épistémologie binaire. La dysphorie de genre par lequel on le catégorise n'est rien d'autre que la marque du refus d'un programme politique binaire auquel nous sommes sommés de consentir. Sa dysphorie de genre n'est pas une maladie mentale, mais une inadéquation politique et esthétique. C'est une résistance à ne pas être subalternisés, objectivés. La dysphorie c'est à la fois la pathologie que le monde désigne comme telle, mais qu'il produit par son emprise. Les déviants ne sont plus hystériques ou schizophrènes, à l'ère du “néolibéralisme cybernétique et pharmacopornographique”, ils sont dysphoriques. La dysphorie désormais recouvre tous les troubles, c'est un concept “élastique et mutant qui imprègne toutes les autres symptomatologies”. La dysphorie désigne tous ceux qui ne s'adaptent pas aux changements du monde. Pour Preciado, cette inadéquation, cette dissidence, cette désidentification est une force. Si “notre condition de précarité et d'expropriation, d'emprisonnement et d'exil, d'assujettissement et d'impuissance s'est généralisée, nous ne sommes pas de simples témoins du changement du monde”. “Nous sommes les corps à travers lesquels la mutation arrive et s'installe”. le capitalisme et ses fictions (nations, identité… autant de fantasmes symboliques qui cherchent à créer des cohésions sociales) sont un irréalisme dans lequel de plus en plus de monde ne se retrouve plus (alors qu'ils sont plus affirmés par quelques-uns que jamais !).


Confronté au mode d'organisation “pétro-sexo-racial” du monde, nous sommes classés en catégories binaires, comme les profils du monde numérique nous classent eux-mêmes en catégories binaires. Pour nous extraire de l'épistémologie simpliste que le monde nous assigne, qui nous cerne et nous pousse à la dépression de masse qu'engendrent le temps des plateformes, il faut sortir du cadre en masse. S'opposer, déserter, faire exode… faire le pas de côté nécessaire pour regarder le monde autrement. Mais là où Preciado peut le faire jusque dans son corps et par son corps, nous autres, assignés aux écrans, nous sommes comme dépossédés de cet outil de lutte. Il nous faut nous en trouver un autre. Et c'est peut-être ce qui explique notre errance dans le désespoir des réseaux. Nous n'y avons plus de corps pour lutter !

hubertguillaud
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le 24 févr. 2024

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