Que ceux qui avaient enterré Harry Bosch après le clivant "Neuf Dragons" se rassurent : Michael Connelly a vraisemblablement compris que son personnage fétiche ne s'appelait pas Jack Bauer, et dans cette aventure se situant en 2011, notre détective bourru et misanthrope redevient un simple inspecteur du LAPD à qui l'on confie non pas une mais deux affaires à résoudre dans les plus brefs délais !

La première est un énième cold case qui va mener Harry sur les traces d'un violeur et tueur multirécidiviste qui collectionne des centaines de photos de ses victimes depuis environ 30 ans. La seconde est beaucoup plus fraiche, et concerne la mort du fils de son ennemi juré, à savoir le machiavélique Irvin Irving. Le quadragénaire en question se serait jeté du septième étage d'un hôtel huppé de Los Angeles, mais au fur et à mesure de ses investigations solitaires, Harry va se rendre compte qu'il y a quelque chose de louche qui se trame derrière cet apparent suicide…

Durant 389 pages, Michael Connelly passe d'une affaire à l'autre sans jamais nous donner l'impression de faire du remplissage inutile, et son sens du rythme et du dialogue reste à mes yeux inégalé. On ne s'ennuie pas une seconde, et en ce qui me concerne, il s'agit de l'un de ses livres que j'ai lu avec le plus d'assiduité : il m'était impossible ou presque de stopper sa lecture tant les deux enquêtes étaient trépidantes. Pourtant, en y regardant de plus près, elles n'ont rien d'extraordinaire en soi et ne sont aucunement reliées entre elles, mais le fait est que Connelly connaît son personnage principal sur le bout des doigts, et la manière dont il jongle entre les aspects professionnels et personnels de sa vie semble couler de source.

Ce livre nous permettra donc de voir Harry travailler au quotidien avec son nouvel équipier issu de l’Unité des Crimes Asiatiques, à savoir David Chu. La relation entre le vétéran du LAPD et ce bavard invétéré qui a peur de voir un cadavre n'est pas surprenante quand on connaît un tant soit peu Bosch : ce dernier partage peu d'informations avec Chu et il le prend régulièrement pour son larbin. Pourtant, le jeune inspecteur des affaires non résolues semble plein de bonne volonté, et il possède une curiosité non feinte, mais rien n'y fait : Bosch est un vieux loup solitaire qui se croit supérieur aux autres, et sa relation avec son nouveau coéquipier sera pour le moins tumultueuse.

Parmi les autres personnages récurrents de la saga Bosch, on retrouvera le conseiller municipal Irvin Irving ainsi que son ancienne coéquipière, Kizmin Rider. Celle-ci a pris du galon et travaille désormais au dixième étage du Police Administration Building, et à la lecture de ce roman, on est au moins sûr d'une chose : l'inspecteur féru de jazz a toujours autant en horreur les magouilles politiciennes qui se jouent entre la mairie et la haute administration policière…

Sur un plan plus personnel, "The Drop" nous permet de voir le nouveau quotidien d'Harry avec sa fille de 15 ans. Malgré la mort brutale de sa mère, Maddie semble relativement épanouie, et quand elle ne lit pas un bon vieux roman de Stephen King, elle communique beaucoup par SMS avec son père. Déterminée à suivre ses pas au sein du LAPD, elle manie déjà les armes et excelle au stand de tir. Tel père, tel fille… Cela dit, on n'en saura pas beaucoup plus sur ce qu'elle ressent vraiment au plus profond d'elle-même, le thème du deuil étant malheureusement éludé par Michael Connelly.

A 60 ans passés, Hieronymus va également tomber une nouvelle fois amoureux. La nouvelle élue de son cœur s'appelle Hannah Stone : elle est psychologue dans un centre pour délinquants sexuels, et elle possède un lourd secret qu'elle mettra du temps à révéler à son prétendant. Cette liaison naissante semble avoir de l'avenir, mais comme elle ne constitue pas le cœur du roman, il faudra attendre un peu avant de savoir si oui ou non Harry a enfin trouvé l'âme sœur…

Je vous parlais à l'instant de l'âge de notre flic préféré, et à la lecture de ce livre, je me suis rendu compte d'une chose : pour Bosch, la fin de carrière approche. Sa retraite est en effet évoquée à plusieurs reprises par l'auteur, et en 2016, ce sera vraisemblablement la quille pour celui qui a déjà dépassé depuis longtemps la limite d'âge réglementaire. Quid de la suite ? Harry va-t-il redevenir détective privé ? Passera-t-il le relais à sa fille ? Dur à dire, mais le mot "retraite" n'est désormais plus tabou, et page 305, Harry aborde carrément le sujet avec Madeline, en évoquant une certaine diminution de son flair d'enquêteur. Comme tout le monde, il se sent vieillir, et envisage même de rendre son écusson pour passer plus de temps avec elle. Serait-il pour autant un meilleur père ? Rien n'est moins sûr… En tout cas, pour le lecteur que je suis, cela fait plaisir de le voir plus vulnérable et moins arrogant.

Pour conclure, que vous dire d'autre si ce n'est que malgré quelques légers soucis de traduction, ce roman policier m'a vraiment captivé ? Comme il l'avait fait avec "A Genoux" quelques années plus tôt, Michael Connelly aurait très certainement pu sortir deux livres courts et sans temps morts avec ces deux enquêtes n'ayant strictement rien à voir l'une avec l'autre, mais il a eu la bonne idée de les regrouper en un seul livre, car après tout, dans la vraie vie, les inspecteurs de la section Vols et Homicides ont souvent plusieurs enquêtes à gérer simultanément. Le résultat est un polar dynamique et fluide sur le plan du rythme mais très conventionnel dans son déroulement. Finalement, n'est-ce pas ce tout que l'on demande à Connelly ? Quand Bosch devient surhumain tel un Jack Bauer sous stéroïdes, il perd en crédibilité, et avec "Ceux Qui Tombent", l'écrivain américain a en quelque sorte effectué un retour aux sources. Harry est redevenu humain, au point de longuement faire fausse route et de remettre en doute ses capacités d'enquêteur. Mais je vous rassure, il n'a pas perdu son sale caractère légendaire et affiche toujours le même mépris pour les manigances en haut lieu…
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le 13 nov. 2014

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