Carnages
6.4
Carnages

livre de Maxime Chattam (2006)

Carnages, nouvelle policière de Maxime Chattam, s'attaque au thème sulfureux des tueries dans les établissements scolaires aux Etats-Unis. En dépit de sa brièveté, force est de constater - car faire court ne signifie pas forcément faire peu - que Chattam passe à côté du sujet et conte sa gentillette plongée aux enfers avec une légèreté assez confondante. L'accent est mis sur les flaques de sang, sur les armes qui "beugle[nt]" du "métal en fusion", sur les morceaux de cervelles qui volent mais aucunement sur l'épaisseur psychologique des personnages. L'accent est aussi mis, changeant la courte nouvelle en Blacksad humanisé, sur l'antithèse entre la noirceur de peau du héros et la blancheur livide des assassins et de la neige omniprésente.
Ce qui me fait titrer cette critique de la manière suivante: De la viande et de la neige.



De la viande



Posons-nous la question: Maxime Chattam serait-il carnassier et légèrement anthropophage ?
Outre sa nouvelle policière Le Fracas de la viande chaude, il offre au lecteur ces Carnages. Et, il est vrai que le titre renvoie bien au récit qui devient pointilleux et s'acharne sur les détails lorsqu'il est question de faits sanglants, de corps en destruction.
Caro, carnis, mot latin à l'origine, entre autres, du mot "carnages" signifie "chair", "viande". Or Max Chattam voit plus dans les tueries lycéennes américaines les fracas de la viande que l'horreur psychologique abandonnée aux ennuyants et chronophages rapports de police. C'est l'une des critiques que l'on peut faire à sa nouvelle: Chattam met en avant le physique au détriment du psychologique. Si cela lie avec brio la focalisation du narrateur au sens profond tu titre, cela délie le lecteur de toute profondeur psychologique des personnages et du vécu de l'histoire.
En témoignent des personnages, pures esquisses, parfois même purs visages (ce qui peut néanmoins être vu comme une volonté de lier l'étymon latin de "chair" carnis à l'étymon grec de "visage") auxquels on s'attache peu et dot le sort nous indiffère. Seule exception, le héros que l'on suit comme en un plan séquence tout le long de l'enquête. Omniprésence charnelle et quasi-absence spirituelle qui amène inéluctablement à un dénouement prévisible. Un ou deux bouleversements tentent bien de le rejeter pour mieux y revenir et rendre à une nouvelle qui tendait vers l'originalité son tour conventionnel.


A l'image de son style que d'aucuns trouvent "grandiloquent" (sic) qui est en réalité à double face: tantôt très (trop ?) travaillé et enrichi, tantôt trop plat et piqué des séries policières américaines. On a l'impression d'un épisode des Experts Manhattan réalisé pour des raisons alimentaires mais sans oublier son art par un Orson Wells ou un Alfred Hitchcock.
Pour illustrer cette impression, citons l'incipit qui annonce la carnage à venir:



L'établissement ressemblait à un golem de pierre agenouillé, des
tentacules à la place des bras s'étalant entre des flaques de bitume
et des nappes d'herbe. La nuit n'était pas encore dissipée si bien
qu'un halo jaune irradiait de ses entrailles, des yeux de lumière
s'ouvraient depuis les plaies rectangulaires de sa peau minérale. Le
lycée était assis là, derrière un drapeau agité par le vent d'automne
et la 120e Rue au ballet incessant de phares blancs et rouges comme
autant de globules alimentant les veines d'un système



Manie de faire appel au "ballet" et aux "processions" tout au long du livre dans ses métaphores mise à part, il faut bien reconnaître que Max Chattam écrit comme Zola.
Mais il partage la qualité de l'auteur du Ventre de Paris à moins bon escient, provoquant un défaut criant dans le résultat. Car Chattam lorgne du côté des expressionnistes allemands et du Zola de Germinal qui les inspire tant: au Dieu Baal, il oppose un golem. Mais si dans Germinal, Zola compare le trou béant et sombre du puits d'une mine où s'engouffrent pas encore éveillés des mineurs qui mourront de chaleur, de fatigue, de maladie ou qui disparaîtront dans des éboulement d'un monde souterrain hanté d'un spectre tout en offrant aux entrailles du monstre un aspect dantesque, Chattam dans son Carnages compare un simple lycée où des élèves commencent à arriver pour suivre leurs cours. On conçoit plus aisément un gouffre comme une énorme bouche que l'on assimile un établissement scolaire à un monstre glaiseux et anthropomorphe.
Le monstre zolien définit un lieu d'esclavage quand le monstre chattamesque annonce l'arrivée d'événements se produisant dans différents lieux.
Enfin, le dieu dévorateur de Germinal file sa métaphore sur tout le roman, ayant une raison d'être quand le golem de Carnages ne sert que d'accroche un peu facile, sans autre sens que celui d'un climat fantastique qui s'essoufflera au bout de quelques petits chapitres.
Qu'en conclure ? Non pas que le style de Max Chattam est mauvais, bien au contraire ! Mais il est inégal, tantôt très recherché , tantôt très plat et, lorsqu'il est enrichi, boulimique puisqu'il donne plus dans l'effet de poudre aux yeux que dans l'effet de sens.


**



De la neige



**


Et cela se ressent jusque dans les aspects symboliques du récit.
La neige, omniprésente, ne cesse de tomber, d'augmenter.
Cette neige utilisée par des Proust comme des Thiliez pour figurer la mémoire va ici servir à faire se trancher les couleurs: rouge sur blanc / noir sur blanc pour incarner la pureté supposée de la peau blanche opposée au sang, qui exprime la violence, et à la couleur de peau du policier noir, qui se fait l'étendard du vrai message de la nouvelle: le racisme, c'est mal.


Autrement dit, Chattam veut dénoncer l'intolérance de l'Homme blanc face à l'Homme noir et n'arrête pas de le faire du début à la fin du texte: des difficultés du héros à monter en grade à la résolution de l'enquête liée au néonazisme, tout sert de balise rouge et sonore. L'auteur engagé a si peur d'être incompris qu'il décode pour son lecteur le symbole de la neige: "Je vais plonger dans un monde blanc, dit-il en écartant les mains devant lui pour savourer la neige. Un univers immaculé pour des gens ... "purs" ".


Ce soucis l'amène aussi à donner beaucoup trop dans ce qu'Umberto Eco nommait "le lieu commun de l'idiot du village". Ce lieu commun consiste à amener l'enquêteur à résoudre son affaire le plus tardivement possible pour donner l'illusion au lecteur d'être plus intelligent que le héros. Mais lorsqu'on en use trop, non seulement le héros semble stupide mais de surcroît, le lecteur se lasse. Dans Carnages, ce lieu commun est d'autant moins efficace que, finalement, la résolution d'une partie de l'affaire est très discutable et que certaines fausses péripéties n'ont aucun sens.
Cet aspect ajouté au style tantôt charnu tantôt anorexique impose la neige comme bon symbole mallarméen du vide d'intérêt que peut accuser l'oeuvre.


Mais n'oublions pas deux choses:
Comme le signifie Crébillon dans Le Sopha, il faut pour apporter de la diversité à une histoire des moments d'importance et des passages qui ne servent à rien. Raison pour laquelle dans Comme un roman, Daniel Pennac donne au lecteur le droit de ne pas lire tout ce qui est écrit dans un roman. Pourtant, la question se pose justement en lisant Carnages: en va-t-il de même pour le style ? On me dit ailleurs que cette nouvelle n'est pas représentative de l'ensemble des écrits de Maxime Chattam, je me bornerai donc à un Quandoque bonus Homerus dormitat d'usage.
Ensuite, ayant lu l'article "Les mots, toujours ..." publié dans Nous sommes Charlie, je connais à Maxime Chattam un réel don pour le plaidoyer, le journalisme, la recherche d'information, le pamphlet intelligent. Mais cette nouvelle me fait craindre qu'il n'en va pas de même pour ses fictions. Attaché à ridiculiser son tueur en fin d'ouvrage, limitant souvent sa conception du monde à un point de vue simpliste, donnant dans le poncif des croix gammées et des "sale nègre, tu vas mourir et les traîtres de blancs qui te protègent avec", Maxime Chattam sacrifie une belle condamnation du fanatisme (une de ses phrases frôlant le pitch de l'excellent Imperium de 2016 sans jamais le rejoindre) pour un bain de sang et une ambiance mi-polar noir mi baroque, truffée de discours oiseux. Pour le dire simplement, Carnages, c'est Bowling for Colombine de Moore qui aurait été tourné par Tarantino: quel carnage !
Là encore, l'impression d'une chaire de la nouvelle cachée sous la neige d'un accent mis sur la surface des choses et non sur leur profondeur.


Chattam reste en surface sans voir les trésors qu'il peut ramener des profondeurs.

Frenhofer
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le 29 mai 2018

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