Baise-moi
6.1
Baise-moi

livre de Virginie Despentes (1993)

Le cas Despentes et autres considération sur la littérature comtemporaine

S'il y a un cercle d'auteurs triés sur le volet qui savent provoquer un petit séisme avec leur production littéraire, il est certain que Virgine Despentes est de ceux-ci. Mais si vous savez, ces auteurs français un peu barrés qui ont su diviser et polariser la critique comme personne et qui nous laisse souvent osciller entre le très bon et le ridicule (Oui Amélie Nothomb, c'est à toi que je parle) sans jamais nous permettre de trancher complètement. Ce qui m'embête conséquemment parce que je tente encore et toujours d'apprécier Despentes même si chacune de mes lectures (ou mon visionnage de Bye Bye Blondie) me fait trembler d'un certain dégoût pour ce qui sort de son esprit torturé. À défaut donc d'encenser la reine française de la littérature trash, laissez moi vous convaincre de son potentiel à mes yeux gâché.


Baise-moi n'a rien d'original pour le lecteur d'aujourd'hui, sûrement qu'un tel style, simple, froid et presque nihiliste (pour utiliser des mots compliqués) a pu détonner dans la littérature française de l'époque puisque clairement jusque là, c'était l’apanage de auteurs américains de type Bukowski et consort. Que voulez-vous, on aime les belles lettres et les figures de style qui s'étalent sur des pages et des pages mais quelque part, admettons là que ce n'est guère qu'un classicisme chauvin et qu'il fallait bien qu'un jour quelqu'un se mette à écrire des histoires qui ne racontent rien de beau et qui s’attellent à décrire un ordinaire peu commun, souvent avec les termes crus des milieux dont il faut bien raconter les histoires anonymes. Ce n'est pas Despentes qui nous aurait pondu la Princesse de Clèves qui se languit d'amour dans un faste château et qu'un regard langoureux peut l'émoustiller pour le premier nanti venu. Non, décemment pas. Car Baise-moi c'est le quotidien rocambolesque de deux femmes que tout attire désespérément l'une vers l'autre, au moins pour le temps glorieux d'une virée sanglante et absurde comme si Thelma et Louise, après un trip à n'importe quelle drogue qui leur serait tombée sous la main, s'étaient mises à mettre le pays de l'Oncle Sam à feu et à sang. N'essayez pas de comprendre leur motivation respective car chacune de leurs actions n'est que l'escalade d'une violence dantesque mais cathartique qui les pousse toujours plus loin dans le plaisir intensément fugace de la reddition à ses désirs instantanés.


Sauf qu'autant dans la vrai vie véritable de la réalité que dans sa forme narrative, on ne peut pas jouir de tout sans en subir un jour les conséquences qui mettent d'ailleurs bien souvent en arrêt nos petites folies passagères. C'est là pour moi toute la difficulté de verser dans le trash: rester pertinent sans s'étouffer dans son propre concept. Car il en vient un moment où tout cela semble d'une banalité effarante et si l'on s'émeut et s'attache à ces anti-héroïne pour leur bravoure des premiers chapitres, il en vient un moment où la répétition fait perdre à l'idée de sa superbe, un moment où la montée appelle à la redescente et bon dieu que l'on se fait chier dans ce bouquin. Celles que l'on avait tant admirées deviennent alors aussi superficielles et inintéressantes que le monde qu'elles semblaient haïr au plus haut point et c'est là que l'on peut entrevoir l’inanité de la subversion facile. C'est là que se trouve le point de rupture et de clivage et qui me fait comprendre pourquoi il n'y a pas de demi-mesure face à Despentes. On adhère ou on n'adhère pas. L'explication pour moi réside dans cet entre-deux parfaitement "bankable" qu'elle a su trouver entre une littérature "underground" mais finement calibrée pour être lisible par le plus grand nombre. Le problème étant que dans les faits, rendre le subversif mainstream, en tirer les éléments les plus significatifs et les arranger dans une sauce qui prendra à coup sûr, c'est la base même de tout ce que l'on range sous le terme "pop" en musique, ce qui n'est pas vraiment mélioratif aux yeux de tout le monde. Donc quelque part, désolée mais pour moi aimer Despentes en raison de son style sulfurique, c'est comme aimer Nickelback pour l'originalité de leur musique.


Voilà, maintenant que j'ai fini mon laïus relativiste, laissez-moi apporter une critique de mauvaise foi. Ce livre, c'est la nostalgie fantasmée et neurasthénique d'une époque révolue. Caractéristiques que l'on retrouve dans ce type de littérature qui prend uniquement racine entre les années 70 et à la limite de 90, histoire de ne pas trop perdre le lectorat. De manière générale, on peut plancher sur du "avant la chute du Mur". Pas de chance donc si vous n'avez pas vécu dans ces années là parce que tout le monde semblait vivre la plus parfaite des existences à cette époque où "on pouvait faire ce qu'on voulait comme par exemple fumer à l'intérieur et qu'on payait encore en franc, parce qu'aujourd'hui, on peut plus se faire plaisir ma bonne dame". À cela donc, il faudra ajouter environ tous les trois chapitres soit une scène de prise de stupéfiant divers, soit une scène de sexe quelconque et l'on veillera, bien sûr, à combiner les deux dans les derniers chapitres, histoire de conserver un lectorat "rebelle du dimanche anti-tout". On parlera évidemment de la misère, des problèmes d'argent, que dans la vie il faut s'amuser parce que ça ne dure pas, tous les bars sont crades et triste comme de la bière tiède et évidemment, il faut des meurtres parce que sinon, on manquerait d'intérêt narratif. Pour moi qui suis née trois ans après la parution de ce livre, ça me semble réchauffé au possible, autant d'innovation qu'un programme de Macron.

Thepunkowl
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le 31 janv. 2019

Critique lue 822 fois

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Engy Near

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