La littérature nous permet assez souvent de vivre d'autres existences par procuration : ailleurs, géographiquement ou historiquement parlant. Et puis, de temps en temps, il faut s'offrir la lecture d'un roman réaliste et contemporain, qui parle de nous, en quelque sorte, même si cette idée peut paraître galvaudée. François Roux est de la race de ces auteurs qui ont choisi le quotidien de leurs (nos) concitoyens pour saisir l'air du temps qui passe : pour suivre la génération Mitterrand dans Le bonheur national brut, pour parler de la génération qui va bientôt aborder les rivages de la cinquantaine dans Tout ce dont on rêvait, un titre qui ne donne pas une véritable idée de ce qu'est le roman. Voici donc Justine et Nicolas et leurs deux enfants plus quelques personnages secondaires. Le talent de François Roux réside dans son aptitude à rendre éminemment romanesque des vies plutôt banales, enfin en apparence. Comme Claude Sautet le faisait au cinéma dans les années 70. C'est pourtant dangereux de se colleter au quotidien d'un couple et au monde changeant qui les entoure : le risque de charrier des clichés est grand, celui de donner une importance exagérée à la psychologie, aussi. Autant d'écueils que le livre, malgré une construction linéaire sans éclat particulier, et dans un style vif et sans afféterie, évite sans trop de difficulté. Justine et Nicolas vivent ensemble depuis des années et l'auteur regarde avec une certaine cruauté, il faut dire, comment les lézardes apparaissent avant une implosion annoncée. Comment aussi chacun se construit une vie sur des faux semblants et des options qui contredisent son moi profond. Surtout quand arrive ce drame : la perte d'emploi. On a beau parler du chômage chaque jour, il faut le vivre dans sa chair pour comprendre en quoi il désocialise, traumatise et creuse le tombeau des illusions perdues. Ici, dans Tout ce dont on rêvait, il est le déclencheur de la lente érosion du lien qui unit Justine et Nicolas. Elle culmine dans une scène de ménage d'une rare virulence qui ne marque cependant pas la fin du livre (suspense !). Ce n'est pas la seule qui marque : lorsque Justine s'oppose à son père, facho nihiliste de la pire espèce, c'est de part et d'autre avec des mots qui cisaillent et qui blessent. Cette violence des échanges en milieu tempéré agit de façon cathartique sur ses personnages mais peut se révéler plutôt choquant. Mais pas au point de gâcher cette belle lecture.

Cinephile-doux
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le 17 janv. 2017

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Cinéphile doux

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