Resident Evil
Resident Evil

livre de Alex Aniel (2021)

Alex Aniel avait de l’or entre les mains. Et c’est peut-être ce qui m’agace le plus.


La note est donc sévère, oui, alors qu’évidemment tout n’est pas à jeter dans ce livre. Mais il y a un tel décalage entre la promesse qui nous est faite et le contenu réel de l’ouvrage qu’il est impossible de ne pas en sortir frustré et déçu.
Alex Aniel nous promet de plonger dans les coulisses de la saga Resident Evil et s’arme pour l’occasion d’interviews exclusives (!!) des développeurs légendaires ayant travaillé sur la licence, dont Shinji Mikami, Hideki Kamiya, Yoshiki Okamoto, Kazuhiro Aoyama ou Hiroki Kato. Excusez du peu. De l’or entre les mains, disais-je, puisqu’il s’agit là des grands noms derrières tous les premiers jeux de la franchise. Un travail d’interview qui aura duré près de deux ans, nous dit-on, afin de nous livrer les secrets de conception des Resident Evil. L’offre est on ne peut plus alléchante !


Malheureusement, Alex Aniel ne tirera jamais profit de ce potentiel et se contentera de survoler le sujet sans jamais entrer dans les détails.
Cette critique sera donc le récit de ma frustration.


Commençons par le contenu du livre en lui-même. Sachez d’abord qu’il ne couvre que les dix premières années de la franchise, du développement du premier Resident Evil sorti en 1996 jusqu’à la parution (vaguement abordée) de Deadly Silence en 2006. Un découpage qui ne me choque pas dans la mesure où il y a déjà tellement de choses à aborder dans cette première partie de l’histoire de la saga qu’il y a largement assez de matière pour un seul livre.
La véritable surprise vient quand on a l’ouvrage entre les mains. Il n’y a que 207 pages, dont 21 pages de conclusion (ludographie, remerciements et sources) et 16 pages de blablas introductifs divers et variés, ce qui nous laisse seulement 170 pages pour nous conter la création de plus de sept épisodes principaux et presque autant de spin-offs. Autant dire que ça parait léger, très léger même, et qu’on se demande bien comment Alex Aniel peut tout caser dans si peu de texte. À titre comparatif, dans mon ouvrage sur Naughty Dog, j’accorde 120 pages rien qu’à la création du premier Crash Bandicoot. Et attention, je ne dis pas que ce type d’ouvrage a besoin d’être épais pour être bon, pas du tout, mais il faut trouver un juste équilibre (et ils sont nombreux à y parvenir). Là, j’avais des doutes. Des doutes qui se sont confirmés à la lecture.


Dès le chapitre sur Resident Evil 1, j’ai senti que ça n’allait pas le faire. Le premier épisode est pourtant presque le plus important puisque c’est celui qui pose toutes les bases, presque celui qui demande le plus de travail, et c’est d’ailleurs peu dire si le développement du premier Resident Evil a été tumultueux ! Il y a des tonnes de choses à dire sur la création de ce jeu.
Alex Aniel n’y consacrera que 22 pages.
Dans celles-ci, il ne dira rien sur les six mois de pré-production que Shinji Mikami a réalisé en solo. Rien sur la « mutinerie » pour faire virer Mikami qui a éclaté en interne quand le projet a été rebooté. Et pire que tout, en tant que bon français un peu chauvin parfois, il n’y a rien du tout sur l’inspiration d’Alone in the Dark, pourtant officiellement reconnue et avouée par Mikami, qui a littéralement sauvé le projet quand celui-ci avançait droit dans le mur.
Mais ce n’est pas tout : il n’y a rien sur les décors, rien sur les monstres, rien sur les musiques, rien sur les challenges techniques traversés par l’équipe, et même rien sur cette équipe, en fait. Qui sont les personnes derrière Resident Evil ? On ne le sait pas vraiment. Shinki Mikami et Yoshiki Okamoto sont mentionnés, bien sûr, mais qui sont-ils ? que font-ils exactement ? quelle est leur patte ? Nous n'en saurons rien. Au bout d’un moment, il y a carrément un listing des crédits du jeu, tu ne peux pas faire plus impersonnel.


Je ne vais pas rentrer dans le détail, mais ce constat s’applique globalement au reste du livre, à quelques exceptions près. Il y a plus de détails sur Kamiya, Aoyama et Kato, ce qui est toujours bon à prendre (mais n’espérez pas savoir quoi que ce soit sur les petites mains derrière les grands hommes !), ce qui fait qu’ils sont mieux traités que Mikami. Alex Aniel est également plutôt bon quand il s’agit de décrire le contexte qui entoure la création de chaque jeu. Il résume assez bien la situation économique de Capcom aux moments clés et s’attarde sur l’évolution de la franchise au sein de la guerre des consoles. Cela permet de comprendre le positionnement de l’éditeur vis-à-vis de la Dreamcast et surtout de la GameCube, console de prédilection de Mikami, avant le retour vers la PlayStation 2 quelques années plus tard. Pour tout cela et l’historique de l’évolution de la saga entre épisodes principaux et spin-offs, le livre est plutôt sympa et se lit bien.
J’apprécie également que, pour chaque épisode, il évoque toutes les versions qui ont été annulées avant d’arriver à celle que l’on connait. Cela rend les chapitres sur Resident Evil 2 et Resident Evil 4 assez chouettes.


Du moins en partie… Car après les nombreux reboots de Resident Evil 4, quand Mikami arrive enfin aux commandes pour mettre en œuvre la révolution vidéoludique que l’on connait, Alex Aniel cesse de raconter quoi que ce soit.
Pour faire simple, mais sans aucune exagération, on nous dit : « La version d’avant ne fonctionnait pas, alors Mikami a pris le relai et s’est occupé du scénario et du design. À l’E3 suivant, les fans ont découvert le jeu avec le village espagnol et la caméra à l’épaule. »
ET C’EST TOUT.


Si pour Resident Evil 2, 3 et Code Veronica, qui étaient des suites plutôt directes au premier, je pouvais comprendre qu’on trace pour aller à l’ « essentiel », autant pour Resident Evil 4 (et le premier) je trouve ça scandaleux qu’on soit aussi expéditifs. Ces jeux sont des révolutions et, dans un livre qui est pourtant consacré à l’histoire de la franchise, on trouve autant d’informations que sur un banal site de vulgarisation. C’est la honte.
En fait, dès qu’on sort du contexte qui entoure la création des jeux (l’avant et l’après), et qu’on entre dans la conception en elle-même, c’est le néant. Ce n’est donc absolument pas un ouvrage sur les coulisses du développement des Resident Evil. Car franchement, en vingt minutes de recherches personnelles, je suis tombé sur des makings of officiels de Capcom qui décrivent en long en large et en travers le développement de certains épisodes, allant même dans le détail du crunch des employés et de la pression constante qu’ils ressentaient… autant d’informations qu’il ne faut absolument pas espérer trouver dans ce livre. Je ne sais pas ce que vous en pensez, mais je trouve que si en moins de dix minutes vous êtes capables de trouver une myriade d’anecdotes passionnantes (et importantes) qui ne figurent pas dans un livre « spécialisé », c’est qu’il y a un problème.


Et ce n’est même pas le seul soucis… Outre les oublis, c’est aussi un ouvrage qui peine à trouver un ordre chronologique. En soi c’est compréhensible, les jeux se sont inter-influencés et plusieurs ont été développé en parallèle, mais en choisissant de les traiter toujours un par un plutôt que de nous parler plus largement d’une époque, Alex Aniel est obligé de constamment nous rappeler ce qui s’est passé dans le chapitre précédent. Si ces chapitres faisaient 30 pages ou plus, ça ne serait pas un véritable problème, mais puisqu’ils n’en font souvent pas plus de dix, les rappels constants finissent par être usants. Mention spéciale au moment où il rappelle littéralement ce qu’il a dit trois pages plus tôt.
Évidemment, le livre ne parle jamais de la musique sauf pour nous dire que celle de la Dualshock Edition est mauvaise, mais puisqu’il ne parle de quasiment rien de créatif, ce n’est pas très étonnant.
Un autre point, qui me brise un peu le cœur, c’est qu’alors qu’il parle assez souvent des scénarios écrits par Noboru Sugimura, l’un des auteurs les plus importants de la série, il ne dit strictement rien sur son décès en 2005. Il n’y a pas le moindre hommage. Et si ce simple constat montre bien quelque chose, c’est que même si l’auteur prétend que grâce à l’écriture de cet ouvrage, il a appris à connaître les créateurs de la série et à faire en sorte qu’ils ne soient plus simplement des noms dans un générique à ses yeux, il ne partage jamais cela à ses lecteurs.
Les lecteurs, eux, conserveront une vision très sommaire des créateurs principaux, n’entendront parler d’aucun nom secondaire (ou presque), et ne sauront donc pas qui sont les créateurs de Resident Evil. Et ça me désole. Cette série méritait un meilleur livre sur son développement. Et si encore il gardait ce traitement "expéditif" mais qu'il allait jusqu'à Resident Evil VII ou les remakes qui ont suivi, ça aurait pu valoir le coup ! Mais on s'arrêtant à Resident Evil 4, on ne peut que se sentir arnaqué.


Et c’est là que c’est un véritable échec. Raconter la création de la franchise est le but même du livre, il n’a pas d’autres objectifs. Et si c’est pour avoir aussi peu d’informations, et pour passer à côté de tellement de choses importantes des coulisses de la série, j’ai presque envie de conseiller des livres qui, certes ne vont pas non plus dans le détail de la conception, mais rendent hommage à la série via d’autres approches comme l’analyse (celui de Third Edition) ou le fanbook plein d’images (celui d’Omaké). De son côté, Pix’n Love, en traduisant un livre populaire aux États-Unis qui passe finalement à côté de son sujet, rate complètement l’opportunité d’offrir au public français un ouvrage intéressant sur le sujet.

GagReathle
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le 30 janv. 2022

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