La liberté, des Grecs à nos jours

Ouvrage tout simplement passionnant d'un auteur érudit, Philippe Nemo, philosophe libéral classique spécialiste de Hayek et de Levinas, nous livre une grille de lecture très intéressante sur l'histoire intellectuelle de l'Occident, lui qui est déjà l'auteur de deux ouvrages "mastodontes" en deux tomes sur l'histoire des idées politiques en Europe, il réitère l'expérience dans un ouvrage plus léger de 150 pages et en adoptant une grille de lecture plus spécifique.

Quel est le point commun entre la quasi-totalité des pays d'Europe et l'Amérique du nord malgré leur diversité culturelle ? Ces pays ont tous été bercés dans les mêmes fondamentaux intellectuels, c'est ce qui les distingue des autres civilisations et c'est ce qui les range dans cette catégorie peu comprise qu'est "l'Occident". C'est du moins la thèse de l'auteur.

Philippe Nemo ne se contente pas de poser cette question des liens qui unissent les pays d'Europe malgré leurs conflits d'intérêts et les guerres faites à travers l'Histoire. Il décrit de manière assez précise la morphogenèse culturelle des civilisations, ne se résumant pas simplement aux peuples qui la compose mais bien aux valeurs en commun qu'elles portent. Il pense d'ailleurs que le libéralisme (en tant que philosophie du droit et de l'économie) constitue l’aboutissement politique de l’idée très occidentale du "progrès, son émergence serait dû à l'apparition de la Cité grecque, la révision du Droit romain, l'eschatologie biblique, la révolution papale (que l'auteur appelle ainsi mais qui désigne la révolution grégorienne). Philippe Nemo a remarqué que le droit romain, en affirmant le droit de propriété et en permettant de différencier le mien du tien dans le temps, était la source de l'humanisme occidental puisqu'il permettait d'individualiser la personne humaine et de sortir de la conception holiste traditionnelle. La charité chrétienne y contribuant également, et la révolution papale revisitant la science grecque et le droit romain pour former une véritable ethique qui forgera la mentalité des européens et créer l'esprit propre des occidentaux, l'auteur poursuit une grille de lecture cohérente très plaisante à lire, montrant comme avec tout cela on arrive notamment à la doctrine libérale du pluralisme intellectuel, politique, économique, et comment la démocratie libérale en elle-même s'est basée sur ces principes établis depuis des siècles.
La conclusion de ce livre est intéressante et rejoint celle de pas mal d'historiens (dont notamment François Furet) et qui démontre que les idéologies alternatives telles que le nazisme, le fascisme ou le communisme ne sont pas des effets intrinsèques de l'Europe mais bel et bien des "accidents" de l'histoire européenne, allant à l'encontre du paradigme qu'elle a tentée d'installer au fil des siècles par les différents processus qu'a énoncé Philippe Nemo dans son livre. Dans un sens, elle rejoint une vision très proche du politologue (qui nous a quitté récemment) Brzeziński - sans le côté militant politique - promulgant une thalassocratie intellectuelle n'incluant pas du tout le concept eurasien, préférant l'Amérique du nord. Ce que j'approuve personnellement ; bien que l'on peut trouver des similarités entre l'histoire russe et la nôtre, avec quelques retards.