Magnus Ridolph
Magnus Ridolph

livre de Jack Vance (1984)

Très déçu de ce livre, premier que je lis de Vance, même si j'ai cru comprendre que le cycle de Magnus Ridolph n'est pas son meilleur et que même son auteur ne lui portait pas grand amour.


Mais avant de parler du contenu, je dois présenter quelques remarques concernant le livre en tant qu'objet matériel: d'une part ça m'a interpelé dans ce cas précis, d'autre part ça me permet de me défouler un peu sur les pratiques éditoriales françaises en général; c'est pourquoi je subdiviserai la critique.
La critique du contenu est en II.


I. L'édition Mnemos
Longtemps attiré par ce cycle (détective dans l'espace, ça me fait rêver), quand j'ai cherché les différentes éditions, je suis tombé sur de vieux livres, et sur un très récent (Mnemos, Hélios, juin 2019) et, en comparant le nombre de pages (car les divers sites spécialisés indiquaient le même contenu), je me suis dit que l'édition récente, quoique plus chère, était préférable, car soit le contenu y est augmenté, soit la police d'écriture plus grosse. C'était le contenu. Par contre la police est relativement moche (je crois que c'est du Times New Roman, mais très fin), heureusement qu'il y a les empattements (les sans serif sont pénibles à lire).


La couverture est assez rigide; il faut presque tenir le livre des deux mains pour lire, ce qui est désagréable, et quand on le tient, les 2 pages sont très incurvées. Je suis peut-être vieux jeu (ou alors j'apprécie l'ergonomie), mais j'estime qu'un livre respectable doit tenir ouvert tout seul si on l'ouvre au milieu; là c'est l'autre extrémité: pour qu'il tienne ouvert il faut le casser. Les pages sont coupées et collées au dos (et non en cahiers brochés, comme les VRAIS brochés), mais je n'en tiens pas rigueur ici.


L'autre problème est commun à l'édition française, qui est bordélique et s'évertue toujours à ne fournir que le minimum d'indications éditoriales; comparez aux éditions anglo-saxonnes ou mieux, aux éditions d'Europe de l'Est (ex-URSS), où on indique les noms de tous les responsables de l'édition, le nom complet (non abrégé) de l'auteur, la date exacte d'impression, le nombre de copies du tirage etc. Bref, là je m'acharne sur les livres publiés en France qui ne comportent pas de dates (ce qui est complétement con), ni lieu (on peut s'en passer, mais pas toujours). Ici, seulement le lieu est difficile à déterminer.


Mais ici, ce qui m'énerve le plus, c'est l'absence d'indications claires quant à la traduction: sur quelles éditions se fonde-t-on pour traduire ET quelles sont les dates et les lieux des premières publications? Ici, on écrit: "Titre original: The Complete Magnus Ridolph © Jack Vance 1948, 1949, 1950, 1952, 1958, 2003". Sauf que c'est de la merde. Je ne sais pas à quoi correspondent ces dates et ce qu'est ce Complete Magnus Ridolph. Après recherches, c'est un livre publié en 1984 par Underwood-Miller (http://www.isfdb.org/cgi-bin/pl.cgi?87497). Ok, mais c'est SI DIFFICILE PUTAIN de le mettre en entier, que je sache? L'encre est trop chère, alors on choisit une police fine et on économise sur les informations basiques?


Les dates maintenant. En fait, ça correspond aux années où les nouvelles ont été originellement publiées, sauf 2003, qui ne correspond à rien du tout... Et 1984 n'est pas mentionnée... Je passe sur le fait qu'on ne sait pas quand a été publiée quelle nouvelle.
D'ailleurs, on ne sait même pas quel est le titre original de chaque nouvelle!


Je réserve le pire pour la fin, mais je l'ai déjà mentionné. Nulle part, et naturellement pas sur le site de l'éditeur (https://www.mnemos.com/catalogue/magnus-ridolph-helios/), on ne précise le contenu exact du livre. Dans le résumé sur le lien (qui est identique à celui de la 4e de couverture) on ne dit même pas que c'est une édition complète du cycle dont auparavant on n'avait publié que 6 nouvelles en un volume (ainsi que, certes, dans un omnibus au titre non évident: Emphyrio et autres aventures, (https://catalogue.bnf.fr/ark:/12148/cb392899050, https://www.noosfere.org/icarus/livres/niourf.asp?numlivre=2146558929). Bref, il faut soi-même devenir détective si on veut avoir un minimum d'informations fondamentales.


Comme constater tout cela a été un peu consternant, j'ai passé du temps à rechercher moi-même les endroits et les dates de première publication, ainsi que les titres originaux; les voici, en espérant me rendre utile à quelqu'un:



  1. Hard-Luck Diggings (Startling Stories, July 1948) = Pas de veine!

  2. Sanatoris Short-Cut (Startling Stories, September 1948) = Un raccourci pour Sanatoris

  3. The Unspeakable McInch (Startling Stories, November 1948) = L'immonde McInch

  4. The Sub-Standard Sardines (Startling Stories, January 1949) = Les sardines de qualité inférieure

  5. The Howling Bounders (Startling Stories, March 1949) = Les butors hurlants

  6. The King of Thieves (Startling Stories, November 1949) = Le roi des voleurs

  7. The Spa of the Stars (Startling Stories, July 1950) = La spa des étoiles

  8. To B or Not to C or to D (Startling Stories, September 1950) = Le cycle infernal

  9. The Kokod Warriors (Thrilling Wonder Stories, October 1952) = Les guerriers kokods

  10. Coup de Grace (Super-Science Fiction, February 1958) = Coup de grâce


Les numéros 1, 2, 4, 8 sont absents de l'édition française intitulée Les mondes de Magnus Ridolph (OPTA, 1975; POCKET, 1982, 1992).


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II. Le cycle de Magnus Ridolph
Je l'ai lu en août, mais c'est impressionnant comme mes souvenirs s'en sont effrités. C'est pourquoi je ne rentrerai pas trop dans les détails des intrigues et du style.


En consultant la bibliographie de Vance, on voit que les 3 premières nouvelles mettant en scène Magnus Ridolph sont des plus anciennes de Vance, ce qui peut expliquer leur qualité douteuse. Mais qu'en est-il des autres?..
Pour ma part, les problèmes généraux de ce cycle sont les suivants:


1] Le point de vue externe.
Les personnages sont des coquilles vides et ne provoquent aucun attachement, même Ridolph. Le personnage est très lisse, on ne sait rien de ses pensées, de sa psychologie, de ses rêves et aspirations (hormis les financières). On sait qu'il apprécie la bonne nourriture et est légèrement hautain et mesquin, quoique poli. Ça ne me suffit pas. Les autres personnages sont encore plus vides, bien sûr, puisque la place à leur développement manque.


2] Offuscation artificielle.
On suit Ridolph, sauf quand il faut créer un "effet comique" ou quand la résolution de l'intrigue approche: alors Vance se permet tous les effets dramatiques ridicules, comme couper au moment où Ridolph va formuler son plan, et montrer l'explication du mystère à travers le plus naïf des personnages, qui soit ébahi. J'ai oublié les nouvelles précises, mais presque toutes comportent ce tic.


3] Personnages hystériques.
En plus d'être des surfaces lisses d'où saillent parfois des traits conventionnels, une grande partie des personnages de ces nouvelles sont "hauts en couleur". J'emploie cette expression péjorativement, dans les faits ça se traduit par leur constant énervement et absence de réflexion calme et posée. Ils agissent le plus souvent sur un coup de sang, ce qui finit mal pour eux. Aussi on voit plusieurs fois des personnages qui engagent Ridolph puis essaient de faire son travail à sa place, mal évidemment. Visiblement Vance ne sait pas construire une histoire qui ne soit pas fondée sur ce schéma, ou ne veut pas le faire, pour des raisons techniques—vendre ses nouvelles—ou des raisons de talent.


4] Mystères.
La composante policière est rudimentaire, ce qui serait pas en soi grave (même si ça m'énerve également), s'il n'y avait aussi cette manie de servir une résolution arbitraire, qui n'implique pas le lecteur. Je veux dire par là que Vance ne donne pas assez d'éléments pour qu'on tente de résoudre l'énigme, gardant tout dans la tête du personnage (pratique, non?), et en plus donne des solutions assez insatisfaisantes. Par exemple, dans "Pas de veine!", les arbres tueurs apparaissent comme si ça allait de soi, alors que le contexte est décrit de manière si indigente que ça aurait pu être tout et n'importe quoi d'autre. Dans "Raccourci pour Sanatoris", la manière dont Ridolph roule son adversaire est hautement implausible: si on sait que l'espace interstellaire est incurvé, et si on a les moyens d'envoyer des vaisseaux en trajectoire incurvée pour aller plus vite qu'en allant tout droit, alors il n'y a nulle raison de jamais envoyer des vaisseaux tout droit. Pourtant c'est l'impression qui se dégage de la nouvelle, que seulement Magnus le fait, mais tous les autres non. C'est juste stupide. "L'immonde McInch" présente le problème de la linéarité: Ridolph n'a aucune recherche d'indices à faire, il interroge simplement tous les suspects un par un et se fait en gros envoyer chier par chacun d'eux, dans une suite de conversations très peu informatives. Et paf, à la fin le coupable montre sa vraie face, sans besoin du tout de travail de détective. C'est la même chose dans "Coup de grâce", un cercle fermé de suspects (alors qu'ici il n'y a pas de raisons que ce soit aussi fermé, et d'ailleurs que l'assassin n'ait pas déguerpi), une suite de conversations menées à moitié par Ridolph, à moitié par un personnage énervant qui croit mieux savoir, et paf, à la fin l'assassin montre son vrai visage; bien sûr Magnus le connaissait parce qu'il est SUPER FORT. Dans "Spa des étoiles", les personnages très énervants autres que Magnus Ridolph sont très sûrs de la solution du mystère, donc en tant que lecteur on sait que c'est tout l'inverse, et que c'est le détective qui a raison. C'est ce qui arrive, évidemment.
Le reste des nouvelles ne m'a pas laissé un grand souvenir du côté du mystère.
J'ajoute que l'aspect rudimentaire de cette composante n'est pas un effet de place, et je cite Conan Doyle, qui arrivait à créer des histoires mystérieuses dans des nouvelles aussi longues, voire moins longues.


5] Construction de mondes.
Les quelques idées intéressantes dans ce recueil ne compensent pas qu'il s'agit d'un univers factice, morne et immobile. À chaque nouvelle, Magnus est confronté à un cas si différent qu'il aurait pu se passer n'importe où, et les éléments unifiants se résument au personnage principal, au nom de la police de l'espace et à quelques races d'extraterrestres évoquées éparsément. Je suppose que c'est dû aux contraintes d'écriture, mais je ne l'excuse pas.


6] Style
Un style fonctionnel et neutre, il ne m'a pas laissé de souvenirs.


7] Le comique.
J'ai dû sourire 2 fois pendant la lecture du livre. D'autres critiques parlent d'"humour désopilant", d'"aventures hilarantes". Je ne vois pas. La plupart du temps, il s'agit de gens qui veulent rouler Ridolph ou de Ridolph qui se venge sur eux, ou de gens qui se comportent excessivement face à Ridolph qui reste calme.


Malgré tout ça, je n'ai pas eu de mouvements de dégoût durant la lecture, ni n'ai eu envie de balancer le livre. Non, il se lit plutôt facilement, mais avoisine l'ennui. Il maintient juste assez d'intérêt pour qu'on continue, mais ce n'est pas ce que je recherche dans la littérature.


Mes nouvelles préférées ont été: "L'immonde McInch" (non pas pour l'histoire mais pour la description de la colonie misérable), "Les sardines de qualité inférieure" (l'histoire est intéressante et le contexte aussi, mais c'est un peu gâché par le point de vue externe; au moins on voit un travail de détective), "Le cycle infernal" (le système solaire à trois étoiles et ses effets sur la planète m'ont paru frais, même si implausibles; cependant le point de vue change au moment crucial, ce qui m'a laissé une mauvaise impression de rafistolage grossier).

Owen_Flawers
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le 3 oct. 2019

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Owen_Flawers

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