C’était un beau sujet. Encore fallait-il se montrer à sa hauteur. Héloïse Guay de Bellissen n’y parvient que de temps en temps, sans doute paralysée par l’émotion – sincère, à n’en pas douter – que font naître en elle sa rencontre avec Simon Coencas et le récit de la vie du vieil homme.


Très vite, elle reste bloquée sur les deux moments clefs de cette existence : la découverte de la grotte en 1940, et l’arrestation de Simon à Paris en 1942 parce qu’il est juif, son internement à Drancy durant un mois et le destin tragique de ses parents.
L’essentiel du livre ne consiste qu’en allers-retours déconstruits entre ces deux faits, sans jamais dégager de ligne directrice ni aller plus loin qu’une approche trop superficielle de leurs significations et de leurs valeurs.


Si l’on comprend l’importance décisive de ces moments, cela ne fait ni une vie, ni un livre.
Plus ennuyeux selon moi, Héloïse Guay de Bellissen laisse l’émotion de l’arrestation prendre le pas sur celle de la découverte de la grotte. J’aurais aimé en savoir plus sur les conséquences de l’invention. Quelles répercussions a-t-elle eu sur la longue existence de Simon Coencas ? Comment l’événement a-t-il été vécu à l’époque, quelle place Simon y a-t-il joué alors ? Et ensuite ?


De tout ceci, rien.
À la place, la romancière choisit une narration bancale pour épaissir la sauce.
Chaque chapitre ou presque commence par quelques lignes en italique : c’est la grotte qui parle, mettant plus ou moins en perspective ce qui va être abordé dans la suite du texte. Ensuite vient un extrait d’interview entre l’auteure et Simon, délivré brut. Puis une reconstitution par l’imagination d’un épisode de la vie de Simon, correspondant à l’extrait en question.


Rien ne m’a vraiment convaincu.
Donner la parole à la grotte n’est qu’un truc, une ficelle, Héloïse Guay de Bellissen n’en tire aucune grandeur.
À l’occasion, elle émaille même le roman de chapitres plus longs où Lascaux échange avec d’autres voix, celles de la Mort et de la Guerre. L’allégorie est boiteuse, les passages d’une naïveté confondante.
C’est de l’émotion facile, bien loin de celle que j’aurais aimé éprouver en m’immergeant plus profond dans l’existence et les sentiments de Simon Coencas.


Les extraits d’interview manquent de relief, d’autant qu’ils sont à peine mis en scène. Au début du roman, l’auteure nous promet un Simon pétillant, actif, plein de vie ; on ne le ressent presque jamais lorsqu’elle lui donne la parole. Les dialogues, restitués tels qu’ils sont sortis de l’enregistreur, tombent souvent à plat, faute d’être mis en valeur.


Quant aux parties inventées, par définition risquées puisqu’elles tentent de combler les trous de l’Histoire par de la matière fictionnelle (donc dénuée de preuve ou de faits), elles restent la plupart du temps gentillettes, naïves là aussi.


Sauf de temps en temps, où Héloïse Guay de Bellissen brièvement touchée par la grâce se trouve un style, s’engage dans son propos, met des sentiments dans ce qu’elle raconte.


C’est le cas par exemple lorsqu’elle reconstitue l’amitié de Simon et ses amis inventeurs, notamment Jacques, le plus proche, le meilleur copain. Il en résulte des moments joyeux, sincères, brillant d’enfance, qui conduisent assez naturellement à la découverte émerveillée de la grotte par le quatuor.


C’est le cas, encore, dans certains passages consacrés à Drancy, dans lesquels la romancière prend des risques – car on sait que fictionnaliser tout ce qui touche de près ou de loin à la Shoah est éminemment casse-gueule. Elle parvient pourtant à rester sur son fil, le plus souvent, sans pirouette ni artifice grossier.


De manière générale, c’est par l’écriture que je trouve Héloïse Guay de Bellissen pas à la hauteur de son sujet. Certaines formulations de la narratrice, proches de la langue orale, piquent les yeux :



« Ici, tout est suspendu. Le temps d’abord, et l’amour. Y a des gens
comme ça qui se complètent. »



Cette faiblesse de langue, absolument pas justifiée dans le texte, est l’aveu d’un style dépassé par son propos.
J’ai eu l’impression que la romancière ne savait pas quoi faire de sa matière, comment l’agencer, l’élaborer, puis la faire briller des mille feux sous lesquels elle aurait mérité de resplendir.


Repoussé par cette écriture trop souvent neutre, dénuée de vie, je suis resté aux portes de l’émotion, là où j’aurais voulu être emporté, galvanisé, émerveillé.


J’aurais voulu éprouver pour ce Simon Coencas de papier la même passion que celle ressentie par Héloïse Guay de Bellissen – car, encore une fois, je ne doute pas une seconde de son profond engagement pour cette histoire et pour cet homme (et pour sa femme, Gisèle).


J’aurais adoré, aussi, ressentir face aux visions de Lascaux la sidération que ce miracle doit faire naître dans n’importe quel cœur battant. Hélas, rien non plus de ce côté.
Les rares descriptions sans relief des œuvres magdaléniennes ne sont hélas pas compensées par la voix sans intérêt que la romancière prête à la grotte.


Bref, Le Dernier inventeur est une déception, qui prouve une fois de plus que le roman biographique est tout un art, dans lequel il ne suffit pas de plaquer des faits, des extraits d’interview et des moments d’Histoire pour toucher juste.
Il faut y ajouter de la vie, de la personnalité, il faut que la voix de l’auteur(e) vibre au creux du réel pour que celui-ci résonne avec force.
Tout ceci m’a manqué ici. Dommage.

ElliottSyndrome
4
Écrit par

Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Lectures 2020 (liste évolutive) et Rentrée littéraire, automne 2020

Créée

le 23 sept. 2020

Critique lue 157 fois

1 j'aime

ElliottSyndrome

Écrit par

Critique lue 157 fois

1

D'autres avis sur Le Dernier Inventeur

Le Dernier Inventeur
noid_ch
5

Un peu de spéléo ?

Un livre qui relate les rencontres de Héloïse avec Simon, le dernier des quatre découvreurs (inventeurs ?) des grottes de Lascaux encore vivant. La découverte d’un trésor à une sombre époque, en...

le 11 janv. 2022

Le Dernier Inventeur
Verstraete_Oliv
7

un dialogue, non deux, non trois...

LE DERNIER INVENTEUR Héloïse Guay de Bellissen Robert Laffont L’image qui peut venir rapidement et de manière caricaturale quand on demande comment vous vous représentez un inventeur, est celle d’un...

le 12 oct. 2020

Du même critique

Un jour ce sera vide
ElliottSyndrome
6

Du trop-plein pour conjurer le vide

Pour développer ce genre d'histoire, il y a plusieurs moyens. Soit on raconte ses propres souvenirs d'enfance et, à moins d'avoir vécu quelque chose d'absolument exceptionnel qui justifie un...

le 24 août 2020

15 j'aime

3

Le Passager
ElliottSyndrome
6

Au bord de la route

(Critique provisoire, en attente de plus de temps pour faire mieux)J'ai été si déconcerté par ce roman que j'ai oublié dans un premier temps de l'ajouter à ma liste de lectures de l'année, presque...

le 16 mars 2023

10 j'aime

5