Le dernier roman (merveilleux) d'Emmanuel Dongala, Photo de groupe au bord du fleuve, datait de 2010. Autant dire que l'attente a été longue jusqu'à La sonate à Bridgetower. Exit les sagas africaines, voici un roman surprenant de la part de l'auteur, une fresque historique de 1789 au début du siècle suivant qui suit les pas d'un jeune violoniste prodige, un certain George Bridgetower, polonais de nationalité mais dont le père était originaire de la Barbade. Un métis, donc, à l'incroyable talent, qui fit frissonner de plaisir musical les foules de Paris, Londres et Vienne mais qui, aujourd'hui, n'est connu que des spécialistes de musique classique. Emmanuel Dongala précise ainsi son but en écrivant un tel livre : "Quand on parle des noirs ou des métis en Europe, on parle des esclaves, des domestiques, or il y avait à l'époque une élite africaine et surtout métisse qui évoluait dans le milieu des aristocrates dans les cours européennes et dont on parle peu." Le roman est effectivement passionnant quand il évoque la figure de ce jeune musicien confronté au regard de privilégiés, parfois mécènes, dont la bienveillance n'exclut pas parfois un racisme bien ancré. Mais La sonate à Bridgetower, dans sa première partie, la meilleure, est surtout l'histoire d'une relation entre un père tiraillé entre plusieurs aspirations, s'intégrer ou se battre, et un fils, que l'on pourrait dire "exploité" par son géniteur. Dans le Paris pré-révolutionnaire, le duo rencontre tout un tas de personnages passés à la postérité : Condorcet, Jefferson, Desmoulins et des féministes qui finiront sous la guillotine. Se pose alors la question habituelle de ce type d'ouvrage : comment marier la reconstitution historique avec la liberté de la fiction ? Dongala semble parfois encombré par les faits qui limitent le champ de son imagination et c'est sans doute ce qu'on pourrait lui reprocher. Mais gentiment, parce qu'il reste un auteur de tout premier ordre qui sait rendre son récit passionnant et toujours prenant. Ainsi, dans la deuxième partie, du côté de Vienne, à l'évocation de l'amitié tumultueuse entre Beethoven et Bridgetower qui débouchera un temps sur une sonate dédiée par le premier au second avant la rupture et sa nouvelle appellation de Sonate à Kreutzer. Dans sa postface, Dongala confesse qu'il connaissait assez peu la musique classique et son histoire. En nous faisant découvrir le destin de ce métis prodigieux, il l'a tiré de l'oubli et composé un roman moins inoubliable que son précédent mais d'une facture impeccable et d'une grande richesse de thèmes.

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le 12 janv. 2017

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