Jack et Rachel contre le hacker abasiophile

Michael Connelly est incapable d'écrire un mauvais polar, mais depuis le début des années 2000, beaucoup de lecteurs lui reprochent d'enchaîner ses romans un peu trop vite et de ne plus proposer d'intrigues aussi tordues qu'au début de sa carrière. Encore aujourd'hui, "le Poète" reste son œuvre la plus appréciée, et la pseudo-suite qu'il avait publiée en 2004 ("Los Angeles River") avait suscité autant d'excitation que de déception chez ses fans. "L'épouvantail" nous permet de retrouver le couple vedette du Poète, et pendant 270 pages, j'ai bien cru que l'écrivain américain était enfin parvenu à écrire un nouveau grand roman sur un tueur en série machiavélique et dérangé…

Jack McEvoy s'est fait virer. Oui, vous avez bien lu : le journaliste vedette du L.A. Times coûte trop cher (8.000 dollars par mois), et concurrence d'Internet oblige, la direction du journal a choisi de se séparer de lui, ainsi que de 99 autres membres du personnel… Un peu malgré lui, le reporter des affaires criminelles va accepter de former sa jeune remplaçante durant 2 semaines, et histoire de faire regretter leur décision à ses "futurs anciens" patrons, il va tenter d'écrire le meilleur article qui soit sur un adolescent de 16 ans apparemment accusé à tort d'un meurtre sordide. Son enquête va le mener sur la piste d'un serial killer non seulement intelligent et cruel, mais aussi et surtout incroyablement à l'aise avec les technologies numériques…

Audacieux ou stupide (c'est à vous de voir), Michael Connelly a pris le parti de nous dévoiler son identité dès les premières pages, et durant la première moitié de l'intrigue, on alterne entre les aventures de Jack McEvoy (à la première personne) et celles de Wesley "Scarecrow" Carver (à la troisième personne). Ce choix de narration discutable (personnellement, j'aurais fait l'inverse) nous permet de comprendre le raisonnement du tueur en série, qui grâce à ses talents de hacker, a toujours un coup d'avance sur ses adversaires. Mais à mes yeux, l'auteur n'est pas allé assez loin dans l'étude psychologique de ce pervers sexuel, et vers la fin du roman, les chapitres qui lui consacrés se font bien trop rares par rapport au reste de l'intrigue. Résultat : on ne sait plus trop ce qu'il pense, ni comment il va contrecarrer la progression de Jack.

Dans son ensemble, ce 21ème roman possède tout de même de sacrés arguments. Outre le style d'écriture nerveux et sans fioritures auquel on est désormais bien habitué, Connelly nous fait une analyse bien pessimiste de l'état de la presse papier, et à travers le licenciement économique de Jack, il nous démontre avec une certaine nostalgie que cette industrie désormais dirigée par des financiers est condamnée à mourir à moyen terme. Mais le vrai point fort de ce livre, c'est bien évidemment son couple star : 12 ans après "le Poète", Michael Connelly s'est enfin décidé à réunir Jack McEvoy et Rachel Walling ! Pourtant, il faut bien avouer qu'ils sont tous les deux assez antipathiques dans leur genre : Jack est un journaliste cynique et opportuniste qui monte trop souvent sur ses grands chevaux, et Rachel est distante et désagréable comme tout bon agent du FBI qui se respecte. Mais voilà, quand ils sont ensemble, une évidente alchimie se crée, et les pages se lisent avec un plaisir non dissimulé.

Finalement, ce que je regretterai, c'est que l'auteur n'ait pas davantage mis ses héros en danger. Certes, il a essayé ici et là, mais à chaque fois, ce fut tellement bref que l'on n'a pas eu le temps de trembler pour eux. La confrontation tant attendue entre l'épouvantail et notre duo vedette m'a ainsi particulièrement déçu : j'en attendais beaucoup, et ce passage aurait logiquement dû être empreint de tension et de sous-entendus, mais pour une raison qui m'échappe, Connelly a préféré nous décrire, pendant 25 pages terriblement longues, le fonctionnement d'un centre de stockage de données, avec moult détails techniques parfaitement inutiles. Sacré gâchis !

Comme vous pouvez l'imaginer, ce livre me laisse un sentiment mitigé : le début m'a captivé, et j'avais par moments l'impression de retrouver le grand Connelly des années 90, mais ensuite, cela s'est un peu gâté, et les 220 dernières pages m'ont diverti sans plus me passionner que cela. Au final, "Wesley le pervers" est resté bien trop passif, et j'aurais aimé qu'il déstabilise davantage nos héros, en s'attaquant par exemple à Rachel. Certes, il est toujours difficile pour un écrivain de faire mourir l'un de ses personnages phares, mais ici, la torture et le meurtre par asphyxie de l'agent du FBI auraient clairement servi l'intrigue, en renforçant le côté machiavélique et désespéré du tueur.

A la fin de ce roman, je me demande simplement ce que vont devenir Jack et Rachel. L'idée, avancée à deux reprises par l'auteur, de les voir travailler conjointement au sein d'une agence de détectives privés, a de quoi susciter ma curiosité, car comme je vous l'ai dit précédemment, ces deux-là n'ont d'intérêt pour le lecteur que lorsqu'ils sont ensemble. J'espère simplement qu'ils en ont fini pour de bon avec les serial killers, et qu'ils enquêteront désormais sur d'autres types d'affaires.
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le 31 août 2012

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