A l'époque des tweets et des SMS, les romans épistolaires ont le délicieux parfum d'un autre temps. Cela tombe bien, du temps, il en est question dans Deux heures moins dix de Mikhaïl Chichkine. Composé, décomposé, recomposé, dans une chronologie bouleversée. Seuls deux personnages comptent. Deux amoureux. Elle, c'est Sacha ; lui, c'est Volodia. Il est parti au loin, en Chine, en pleine guerre des Boxers (1900), elle est restée solitaire dans sa datcha. Ils s'écrivent, les souvenirs affluent, ceux de leur histoire commune mais aussi des réminiscences d'enfance. Il faut un moment pour comprendre que leur correspondance ne se croise jamais, ils ne se répondent pas, à se demander s'ils n'écrivent-ils pas d'ailleurs pour eux-mêmes ? Peu à peu, alors que Volodia s'enfonce dans une guerre inhumaine, les repères temporels de l'existence de Sacha s'estompent. Elle semble vivre dans l'Union Soviétique des années 50, on ne peut en être sûr. Il faut toute la qualité d'écriture de Chichkine, claire, lyrique, tellurique, pour nous faire accepter la construction de ce récit à deux voies, qui ne convergent pas. Si ce n'est que, à travers l'évocation du passé, nostalgique et doux, ou celui du présent, brutal et dramatique, les mêmes thèmes reviennent de façon obsessionnelle : la mort et la recherche éperdue et chimérique d'une certaine forme de bonheur. Le roman de Chichkine souffle le chaud et l'effroi, entre réalisme cru et échappées magiques. Un livre dans la grande tradition russe, fresque passionnée et envoûtante qui se joue des horloges et des montres qui ont décidé, Dieu sait pourquoi, de s'arrêter à deux heures moins dix.

Cinephile-doux
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le 9 févr. 2017

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