Désormais, on se lève et on se casse

Comment draguer après avoir critiqué les applications de rencontres dans un livre précédent, et en particulier la plus connue, Tinder ? Comment s'y prendre, elle, Judith Duportail, mais aussi nous, à notre époque pour trouver quelqu'un, vivre une relation avec, sexuelle, amoureuse, ou autre ? Ce sont les questions que pose une jeune femme à l'auteure, à la fin d'une conférence, jeune femme à qui le livre va s'adresser (via un "morveuse" un peu agressif et questionnant) pour tenter de trouver des réponses.


Sachant ce qu'elle sait sur Tinder, elle souhaite et aimerait draguer autrement, éprouver la rencontre hors système (informatique). Prouver aussi qu'elle sait toujours s'y prendre, qu'elle plait. Elle sort avec ses amies, lit des livres, traîne sur internet, et nous raconte sa vie de trentenaire désabusée, un peu cynique et revenue de tout.


La première moitié de Dating Fatigue est fatigante, justement. Judith Duportail semble s'apitoyer sur son sort, dans un exercice de style difficile où le "moi je" égocentré occupe plus l'espace que le propos sociologique. Elle se complait un peu dans son "malheur", et ne voit pas comment se sortir de l'impasse. L'écriture n'est pas des plus inspirées, et l'emploi constant de citations d'auteurs pour étayer son propos n'est pas toujours bien construit ou amené.


Cette critique est facile, de ma part, parce que l'auteure s'y ouvre et se confie telle qu'elle "est", comme l'auto-fiction nous permet de l'imaginer. Elle a osé écrire, elle a écrit, et pour ça, déjà, elle mérite le respect et une écoute attentive. Qui suis-je, pour pouvoir juger les écrits d'auteur.e.s se mettant à nu pour espérer dévoiler une vérité plus profonde, presque sociétale.


Et puis, lors d'un voyage à Berlin, au milieu du bouquin, les choses bougent, les idées prennent forme. Elle se découvre demisexuelle, ce qui "désigne une orientation sexuelle où quelqu'un n'est capable de ressentir de l'attirance sexuelle qu'envers des personnes avec qui il possède un lien émotionnel fort". Elle vit une expérience lesbienne, va de l'avant et réfléchit la révolution sexuelle/romantique qui s'enracine depuis le mouvement #metoo dans nos sociétés occidentales.


Elle va explorer du côté de "l'anarchisme relationnel", cette idée de "ne plus considérer le couple comme au-dessus de tous nos autres liens". Ne pourrait-on pas être en couple avec un.e ami.e/un.e partenaire, avec qui on vivrait de manière platonique, tandis qu'on vivrait des histoires sexuelles avec d'autres gens ? Comme elle le dit justement, n'est-ce pas ce qui arrive à la majorité des couples infidèles, plus hypocritement ?


Dans la deuxième partie du roman, Judith Duportail se dessine comme un personnage désabusé qui trouve finalement des réponses, qui ne sont pas ou plus entre les mains d'un homme. À travers une autre expérience douloureuse de non-consentement avec un mec qu'elle pensait qu'il avait "compris", elle va reprendre pour elle-même le propos de Virginie Despentes, "Désormais, on se lève et on se casse", décrivant la position d'Adèle Haenel, quittant la cérémonie des Césars lorsque Polanski fut annoncé vainqueur (au lieu de mettre à l'honneur ce film flamboyant réalisé par Céline Sciamma, Portrait de la jeune fille en feu : https://www.senscritique.com/film/Portrait_de_la_jeune_fille_en_feu/critique/218652741).


Le temps où les femmes devaient s'occuper de rendre l'homme bien dans sa peau est révolu. C'est fini de faire la conversation alors qu'elles n'en n'ont pas envie, de se mettre avec un mec pour ne pas se sentir seules. La solitude existentielle pèse autant sur elles que sur les hommes. Et ils ne les sauveront pas, ni eux, ni le couple. Elles doivent apprendre, comme tout le monde, à vivre avec leur corps et leur mortalité future. C'est pas leurs choix, leurs désirs et leurs actes, sans remords ni culpabilité, qu'elles vivront leur vie, avec ou sans partenaire. Désormais, Judith Duportail se lèvera et se cassera.

Cambroa
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le 28 déc. 2021

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