Nous rencontrons des problèmes techniques sur la partie musique du site. Nous faisons de notre possible pour corriger le souci au plus vite.

Charleston
6.5
Charleston

livre de René Fallet ()

J'aime beaucoup René Fallet (La Soupe aux choux, Paris au mois d'août, les vieux de le vieille...). J'aime beaucoup son écriture à la fois gouailleuse, tendre, pleine de vin et d'argot. Fallet a une véritable affection pour ses personnages.


En général, je lis René Fallet pendant les vacances, profitant et du temps libre et de sa prose pour doubler les plaisirs.


Ici pourtant, un goût d'inachevé. Ce roman est plus tragique, même si Fallet a toujours le sens de la formule et des personnages bien vivants. Il est question de morts (à Londres), de traumatismes, d'amours impossibles:


« — Perdreaux ! Perdreaux ! hurla-t-on.
Christophe ne tira pas avec les autres. Quelque chose venait de le glacer, sans guère de raison. Un souvenir d’après-midi comme celui-là. La lumière, peut-être, les cris, les coups de feu, ces perdreaux lancés en grenades, tout un il ne savait quoi d’imprécis lui plaquait dans l’œil une photographie, précise, elle, nette, sans flou ni bavure : la mort de Bastien Jard, un ami, Chemin des Dames, septembre 1918. Bastien était tombé comme ce perdreau qui ressemblait à Bastien, ensanglanté, frissonnant, roide enfin après un ultime débattement. Christophe regardait la bête, ce chiffon pourpre et marron oublié sur l’herbe. Les mitrailleuses crépitaient. C’était, en Argonne, un autre perdreau, Sylvain Vouture, coupé en deux, la viande éparpillée dans les chevaux de frise. Mitrailleuses. Canons. Fumées.
— Eh bien, Christophe ? fit M. Ragon. Ça ne va pas ?
Christophe se frotta les yeux, effaçant des deux mains le cliché.
— Un éblouissement, monsieur Ragon. Ce n’est rien. C’est passé.
— Ah bon ! Je préfère. Je me demandais pourquoi vous n’aviez pas salué ces bougres. Vous les aviez à belle. Et vous, au moins, vous êtes un bon fusil. Tenez, remettez-vous.
Il lui tendait un flacon plat recouvert d’argent.
Le cognac avait le goût d’éther et de gnole, le goût des alcools ignobles servis à pleins quarts au Chemin des Dames. »


L'argument du livre, qui articule les passions, à savoir une sorte d'amour impossible entre un jeune bourgeois bordelais monté à Londres pour y perfectionner son son anglais des affaires et une jeune serveuse dans un pub dotée d'une personnalité incompréhensible est maigre, un peu bancal et laisse un goût d'inachevé.


Un passage un peu dérangeant:


« Ces pleurs interminables le mirent soudain en fureur. Il se jeta sur elle, lui serra le menton entre ses doigts, la força à le regarder dans le brouillard de ses larmes :
— Pourquoi, Nelly ? Pourquoi ?
— Je vous aime.
— Ne dites plus ces mots-là, ou je vous tue.
— Tuez-moi, mais je vous aime.
Il la gifla si fort qu’elle tomba sur les genoux.
Elle dit calmement « Je vous aime » avant de recevoir une autre gifle qui la projeta contre une commode. Une foule d’objets dégringola avec fracas pendant qu’il criait : « Putain ! Putain ! Putain ! » en la frappant des deux pieds. Elle hurla de douleur.
Quelqu’un tapa alors vigoureusement à la porte et une voix comme céleste tant elle était insolite retentit :
— Police ! Ouvrez !
François se figea, un pied en suspens. Hébétée.
Nelly se releva à demi. Elle saignait du nez et le sang ruisselait sur son visage et sa robe.
Le poing tambourina encore.
— Ouvrez ou j’enfonce la porte ! Police !
François fit un pas pour obéir. Nelly se remit debout, l’écarta :
— Laissez, François. Je m’en occupe.
Elle se dirigea en titubant vers la porte, l’ouvrit et se trouva nez à nez avec un policeman casqué qui eut un sursaut horrifié« à sa vue. Elle fit froidement :
— Vous désirez ?
— Vous… vous saignez ? bégaya le « cop ».
« — Oui, je saigne, et alors ? Ça ne vous arrive jamais de saigner du nez ? C’est défendu ?
Toutes les rudes inflexions de Kingsland Road et des faubourgs de l’Est lui remontaient à la gorge, placée comme elle était face à l’ennemi naturel des pauvres et des grévistes matraqués, le bobby. Celui-ci bredouillait :
— J’ai entendu du bruit… comme un bruit de lutte… je me suis permis, j’ai cru qu’on se battait…
— Parfaitement. C’était mon homme qui me battait. Et vous en feriez autant à votre garce de femme si elle était une pute qui vient de coucher avec un autre homme, comme je l’ai fait.
— I’m sorry… J’ai cru de mon devoir. Avec toutes ces histoires de Jacky Stocking…
— Il est dans le Southwark, Jacky, et bien tranquille, car vous ne l’attraperez jamais.
Elle s’essuya la figure d’un revers de main et toisa l’autre avec un mépris tel qu’il s’empourpra de honte jusqu’au casque.
— Filez, cop. La loi ne vous autorise pas à entrer.
J’ai beau être une putain, ce n’est pas un lieu public, ici.
— Je sais, miss.
— Foutez-moi le camp.
— Oui, miss. »

LilianSG
5
Écrit par

Créée

le 22 mai 2020

Critique lue 205 fois

LilianSG

Écrit par

Critique lue 205 fois

Du même critique

Les Blancs, les Juifs et nous
LilianSG
1

à côté de la plaque

Cela fait un moment que je voulais le lire celui-là. Une bonne pioche et hop! Je voulais le lire parce que je voulais me faire ma propre opinion face à ce texte qui (même s'il n'a été lu que par peu...

le 17 déc. 2019

9 j'aime

5

Le Rhinocéros d'or
LilianSG
8

introduction érudite à l'Histoire de l'Afrique

Il y un problème avec "l'Histoire de l'Afrique" entre les eurocentristes qui prétendent que "l'Afrique n'est pas entrée dans l'histoire" et les afrocentristes à la suite d'un Cheikh Anta Diop qui...

le 27 déc. 2019

5 j'aime

Aspects du mythe
LilianSG
8

in illo tempore...

C'est un livre qui cherche à dresser une vision complète du mythe défini par Eliade comme : "le mythe raconte une histoire sacrée; il relate un événement qui a eu lieu dans le temps primordial, le...

le 28 mai 2020

4 j'aime