J'avais fait une fiche de lecture très naïve de l'ouvrage lorsque j'étais en première année d'étude. Je vous la partage.


L’histoire des personnages a beau prendre place dans une des périodes les plus sombres du XXème siècle, le ton et le style d’écriture sont plutôt « décontractés ». Le narrateur parle de manière quasi-enfantine avec un vocabulaire parfois immature mais avec un discours que seul un adulte pourrait dire (réflexions sur les dirigeants politiques, les inégalités sociales, le progrès technique). En effet, les personnages sont peu cultivés et s’expriment dans un franc parler qui ne se prive pas d’injurier voire d’outrager. L’humour est très présent et ne repose pas uniquement sur le langage mais aussi sur des comiques de situations, des comiques de répétions et même des satires. Par exemple, l’auteur n’hésite pas à mettre dans la bouche des personnages historiques des paroles complètement invraisemblables. J’ai personnellement beaucoup ris lorsque l’auteur énonçait le fait que les petits nouveaux apprenaient que « Le Duce a baisé mémé. Mais faut pas le dire à papi parce que sinon il va perdre le ciboule. » (phrase qui revient d’ailleurs plus tard). L’humour parfois gras n’enlève cependant rien à l’impact moments graves et solennels du récit. Notamment lorsque les personnages font face à des dilemmes moraux redéfinissant leur humanité. Dans ces moments là, le narrateur brise le quatrième mur en s’adressant directement à nous et nous disant de s’abstenir de faire un jugement moral sur la scène qui est décrite sous nos yeux, « chacun a ses raisons ». Au final, le style n’a rien de transcendant, le ton parle plus aux sentiments qu’à un sens poétique. L’alternance entre humour et moments graves ne gênent pas la cohérence du récit mais au contraire vient renforcer l’unicité du biographique dans de l’historique.


Voici quelques thèmes que j’ai perçu dans l’oeuvre et quelles en sont mes interprétations.
La famille. C’est à travers le prisme familial que l’on suit la genèse et le déclin du fascisme. Cela permet peut être d’aborder le sujet moins froidement et sous un angle micro- historique (même si c’est une fiction). Ainsi, la solidarité des membres de la famille transpire de part en part de l’oeuvre. Certes c’est une biographie mais tous les évènements historiques sont rapportés à la famille: l’histoire n’a de sens que parce qu’elle a eu impact sur le destin familial. Chaque membre est unique mais est rapporté à un tout, à la conscience collective des Peruzzis. Ainsi, l’empathie est se créer à la fois autour de chaque personnages (qui sont authentiques) et autour de la famille en elle même.
La misère. L’accent est mis sur la misère de la famille sans tomber dans le misérabilisme. Cet aspect apporte un élément d’empathie et est un fondement des actions de la famille. Cela explique entre autre le choix d’abord du marxisme, du fascisme puis de la migration dans le Latium. De plus, la misère est mise en perspective. L’auteur fait notamment des comparaisons entre le « présent » (c’est-à-dire depuis le bien-être) et le temps où les gens
allaient faire leurs besoins dans les « privates »; entre les pays développés de l’époque tel que les Etats-Unis d’Amérique et l’Italie agricole. Les conditions de la famille ne s’améliorent jamais vraiment et ils font face à une permanente précarité. D’abord nomades, ils acquièrent un territoire dont ils se font exclure puis émigrent vers le sud ou il leur arrive aussi des malheurs (mauvais rendements dus au temps, aux inondations). Enfin vient la guerre, considérée d’abord comme un appel électif du destin, elle est perçu peu à peu comme le sort de la fatalité. « C'était la fatalité. Nous sommes comme des brindilles dans le vent du destin. Nous allons là où le vent nous porte. »+ « Ce qui détruit l'homme n'est pas le malheur en soi, mais l'incertitude et surtout l'attente du malheur. On parvient à affronter le malheur et on finit par se relever. Or, si le malheur ne s'accomplit pas et reste toujours suspendu, c'est impossible. »
La lutte des classe. La misère, énoncée plus haut, constitue la matrice du ressentiment des personnages. Ils s’engouffrent alors dans des luttes politiques, sans trop savoir pourquoi, en espérant améliorer leur condition sociale. Sans faire de la sociologie très poussée, il est plus ou moins admis que le groupe s’affirme encore plus dans le conflit qui est plus violents entre deux mouvances issues de la même origine. D’abord, il y a le premier conflit mondial comme union sacrée, préconisée par les interventionnistes tel que Mussolini. Puis contre les autres classes sociales. Les ouvriers partisans du socialisme contre le parti national fasciste et les chemises noires. Comme des frères ennemis pourtant issus du même milieu social, se battent sans merci pour affirmer leur légitimité. Les combats sont violents entre les Peruzzi convertis au fascisme face à leur ancien camarade: incendies, sabotages et meurtres. Enfin, des clash arrivent également entre les « Bougnoules » des montagnes et les « Cispadants » immigrés (même s’ils font preuve de solidarité à la fin de Seconde Guerre).
La mémoire. Ce n’est pas par erreur que l’auteur emploie la première personne du pluriel en s’incluant dans le récit alors même qu’il n’est pas encore né. Son existence est tributaire de son histoire. Il n’est pas le simple fruit du hasard. Dans la préface, il dit lui même « ce livre est la raison pour laquelle je suis venu au monde ». Pour le bien de la mémoire collective de sa famille, et donc pour son ensemble de représentation et de système de valeurs, l’auteur n’hésite pas à tordre la réalité (aussi pour des raisons artistiques qu’impose le format). « Quoi qu’il en soit, pour être honnête [...], je vais vous raconter la vérité jusqu’au bout, tout au moins telle que je la connais et telle que mes oncles me l’ont relatée : nous avons, nous aussi, magouillé un peu. » A plusieurs reprise l’auteur revient sur ce rapport à la mémoire et à la vérité. Il s’adresse à nous lecteurs lorsque nous pourrions doutez de certains faits racontés. Mais dire la vérité serait trahir la mémoire de sa famille et donc trahir l’authenticité du récit.
La transgression. La première transgression est l’offense faite à la religion. Le meurtre d’un prêtre semble être la limite maximale du personnage qui se prend ensuite de remords. Pourtant, la famille est montrée comme relativement pieuse est proche de l’Eglise (qui était une très forte instance de socialisation, l’exemple du club de foot). La seconde est l’homosexualité ou plutôt la relation sexuelle entre deux soldats. L’auteur soutient que son oncle n’était pas homosexuel. Quoiqu’il en soit cela reste contraire aux bonnes moeurs et peu devait avouer ouvertement et explicitement qu’ils avaient eu des relations sexuelles avec quelqu’un du même sexe. Enfin, l’ultime transgression est une relation quasi- incestueuse entre le cousin Paride et Armida, cette union nait le narrateur baptisé Pericle (comme son « oncle » ?). Toutes ces transgressions témoignent du dysfonctionnement de la famille avec qui pourtant l’on s’est attaché tout du long. Cet aspect là renforce le coté « bad guys », avéré de par leur appartenance au fascisme.


L’ambiguïté et ambivalence. L’auteur bouleverse sans cesse nos repères moraux en créant de l’empathie autour de personnages qui agissent de manière amorale voire immorale. La transgression des bonnes moeurs est suivies quelque page plus loin d’une touche d’humour qui pour autant ne dédramatise pas la scène. A lecture de cette ouvrage fait ressentir un sentiment de dégout et de fascination pour cette période tout en apportant un regard sur l’être humain et sur la société.

Vanbach
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le 11 mars 2020

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