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La structure de ce Bloy ou la Fureur du Juste reprend la bonne vieille bipartition vie et œuvre. Une première section, dont le titre (« Il y a du mystère dans ma vie ») est emprunté à Bloy lui-même, reprend les éléments de l’existence terrestre de celui dont l’œuvre tout entière – et pas seulement le Désespéré – est peut-être une gigantesque autobiographie : l’enfance « entre rude férule paternelle d’inspiration maçonnique et révolutionnaire (Rousseau, Plutarque) et maman Pélican s’offrant en oblation sainte, corps et cœur dévoués de souffrance : nous sommes bien en France au milieu du XIXe siècle » (p. 25), la crise de l’adolescence, la conversion par Barbey, le mysticisme récurrent (Vierge de La Salette et autres femmes), la « “conspiration du silence” qui, loin d’être un mythe, ceignit Bloy d’un définitif cordon sanitaire » (p. 84), 1895 l’année terrible, les errances, le déluge de fer et de feu dont il ne verrait pas la fin…
Cette première partie n’apprendra pas grand-chose à qui connaît les grandes lignes de la vie de Bloy, mais elle a le mérite d’être accessible à quiconque n’aurait jamais entendu parler de lui, à rebours d’un certain nombre de textes biographiques qui, d’autant plus facilement et fréquemment qu’ils portent sur des auteurs cultes – quel que soit le sens qu’on prête à cette expression –, procèdent, à l’image de la phrase qui précède, par allusions, limpides pour l’initié mais, pour le profane, au mieux intrigantes, au pire absconses (1).
La seconde, « Torches et balises », forme un parcours – appelons cela ainsi – parmi des « termes clés […] guidés par un enchaînement spirituel et théologique qui ira de la douleur à la réintégration paradisiaque » (p. 84). L’occasion, donc, de dresser à grands traits un tableau de l’écriture et de la pensée bloyennes – mais peut-être de grands traits suffisent-ils pour brosser cette écriture et cette pensée-là : Bloy n’est pas un homme d’arguties.
Là encore, le propos est clair. Il fait rentrer Bloy ou la Fureur du Juste dans la catégorie des essais lisibles autant pour apprendre des choses sur leur sujet que pour savoir ce que l’auteur pense dudit sujet. En l’occurrence, l’auteur maîtrise son sujet : les meilleures affirmations sont irréfutables (« l’exagération [chez Bloy] n’est pas un pompiérisme stylistique outrancier, une enflure verbale pléthorique, mais une outre-mesure clarificatrice », p. 152), les moins bonnes peuvent être défendues – parler de la « Lamentation de l’épée » comme d’un « poème en prose » (p. 133), c’est peut-être simplement méconnaître qu’une bonne partie de l’œuvre non-narrative de Bloy (et encore) est constituée de poésie en prose.
Cependant, il est toujours bon de lire que « Bloy est l’une des plumes les plus insoutenablement drôles de la littérature française, tous siècles et catégories confondues » (p. 11) ou que « Son écriture n’est pas un geyser, une écriture giclée, éruptive, sorte de brillante expansion littéraire d’une psyché volcanique et incendiaire – une crise graphique. C’est une écriture d’artilleur délicat ou de sniper amoureux » (p. 179).
D’autre part, François Angelier sait écrire. Il a le bon goût de ne pas chercher à adopter le style de son sujet. On pourrait certes trouver qu’il cède un peu trop facilement aux plaisirs du double sens : « Bloy a passé sa vie à “comprendre sa douleur”, au sens le plus fort de cet acte, étreinte et intelligence » (p. 115) ou « pour l’auteur du Désespéré, l’histoire est tramée, objet tout à la fois d’une texture et d’une conspiration » (p. 150), mais ces doubles sens-là ne sont pas de simples calembours.


P. S. – Je n’ai toujours pas compris à quel titre ce volume figure au catalogue de ce fourre-tout qu’est la collection « Voix spirituelles » des éditions Points.


(1) Il paraît qu’écrire des phrases longues et ultra-grammaticales donne l’impression d’être un grand auteur.

Alcofribas
8
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le 4 juin 2019

Critique lue 43 fois

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Alcofribas

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