77
7.1
77

livre de Marin Fouqué (2019)

Autour de l’abri de bus, chaque matin la jeunesse du hameau patiente jusqu’à l’arrivée du transport scolaire. Ces adolescents, le grand Kevin, la fille Novembre, le traître se connaissent tous, mais s’évitent. Et s’il y en a un à l’écart, avec sa gueule fine et sa capuche, c’est le narrateur. Cela fait longtemps qu’il n’est plus monté dans le bus, qu’il laisse les autres s’installer pour leurs nouvelles vies tandis que les gamins des arrêts précédents lui offrent des gestes de menace depuis les vitres.


Ses journées, il les passe dans cet abri de bus. Il regarde les voitures passer, scrute les paysages marrons du « 77 », mais du sud, pas de la région parisienne, voit au loin quelques figures locales et connaît chaque détail de cet abri qui l’abrite, de ses trous à ses tags. Il fume des joints, mais ses pensées l’éloignent. Dans une longue et pesante logorrhée intérieure, il se rappelle.


Il se rappelle du père Mandrin, le fermier du coin et de sa peur panique de l’envahissement du béton parisien. Il se rappelle de la Vieille, une pauvre dame âgée qui a perdu la tête depuis longtemps et qui erre dans les rues. Il se rappelle des autres vieux, qui sentent la vieillesse et le renfermé, bloqués dans leurs petites maisons, qui ne sortent que pour le loto ou pour se faire coiffer.


Mais il se rappelle surtout qu’il était ami avec la fille Novembre et avec le Traître avant qu’il soit le traître. Leurs jeux parfois violents dans la boue et avec les vers. Leurs rêves illusoires accrochés aux probabilités de la couleur des voitures qui passent. Et leurs relations avec leurs familles, le climat violent de chez la fille Novembre, le laxisme des parents du Traître ou l’ambiance chez le narrateur, que tout le monde sait mais dont personne ne parle, ce silence du 77 qui ne se dissipe que derrière les dos.


Le narrateur se souvient, il commente, sa pensée erre puis se rattrape. Avec ses mots, ses idées. Avec une certaine mélancolie, mais sans nostalgie. Il y eut des bons moments, mais d’autres plus difficiles, plus sombres. Leur amitié n’est pas celle des grandes déclarations d’amour. Le monde qui les entoure est parfois sale et pesant. La lecture est à cette image.


Sans possibilité de souffler, le lecteur est emporté par cette plongée dans l’esprit d’un adolescent qui en dit beaucoup sur son environnement mais si taiseux, renfermé. Le livre est sombre, déroulé d’un seul coup. Il faut parfois le fermer pour reprendre contact avec notre monde. Les errements de la pensée du narrateur peuvent agacer, mais l’auteur a réussi à créer un personnage assez fort dont on perçoit bien un mal-être qu’il n’exprimera jamais à voix haute. Marin Fouquié est un habitué du texte, de la langue, il écrit pour le rap et le spectacle vivant. Son écriture virevolte, étincelle de noirceur, d'un humour désespéré.


Pour un premier roman, c’est donc une assez belle réussite, qui arrive à resituer un monde entre la région parisienne et la province, peuplé mais abandonné à cause de la distance avec les autres villages ou de la désertion de ceux qui y vivent. Il est regrettable que le roman veuille se terminer par une note plus optimiste. La narration se précipite avec de nouvelles rencontres trop vite esquissées et un certain retour à la morale s’amorce, alors que la quête initiatique sur le fait d’être un homme qui se noue dans la deuxième partie aurait pu se terminer avec une conclusion sombre et ambiguë, cruelle mais en phase avec le ton poisseux du roman.

SimplySmackkk
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le 21 sept. 2019

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