Au nom de TellTale

Pentiment n'est pas un RPG.

Une première affirmation un peu brut de décoffrage mais c'est là une clarification qu'il me paraît important d'apporter en premier lieu : la seule personnalisation accordée au joueur étant en effet le passé de votre protagoniste, ce qui comme souvent revient à jouer au hasard puisqu'il est impossible d'anticiper quelles caractéristiques s'avèreront plus utiles que d'autres dans le cadre de notre périple (même si pour un jeu narratif, la persuasion semble tout de même fortement encouragée); un conseil : jouez RolePlay en imaginant tout simplement le personnage que vous auriez aimé incarner si vous aviez vécu au XVIème siècle.

Et pour le reste, nous sommes bel et bien en présence d'un jeu narratif héritier de la longue tradition des TellTale avec les sempiternels "Jean Michel s'en souviendra" et les épreuves de persuasion ne résulteront ici pas de vos attributs personnels mais de l'accumulation des choix moraux précédemment effectués; un écart assez étonnant de la part du développeur Obsidian et leur création semble être parfois un peu tiraillée entre des aspirations contradictoires : Pentiment n'a ni le rythme ni la mise en scène habituellement associés aux jeux narratifs mais sans proposer pour autant la liberté d'exploration et le sentiment d'appropriation inhérents aux RPG du studio; les allers retours en deviennent parfois fastidieux avec un déplacement 2D un brin lourdingue et d'autres obligations peuvent parfois être un peu pénibles dans le déroulement du récit, comme la nécessité de trouver un comparse avec qui casser la croûte à midi, même si comme dans les jeux narratifs de TellTale, la composante énigmes est ici réduite à sa plus simple expression pour ne pas entraver davantage les péripéties du joueur.

Fort heureusement, les jeux narratifs et les RPG partagent également un point commun parfois insoupçonné et que Pentiment peut également revendiquer comme sien : les dilemmes moraux s'avèrent en effet légion au cours de ce récit plus ambitieux qu'il n'y paraît et la réflexion du joueur sera maintes fois sollicitée lors de décisions cornéliennes aux conséquences parfois imprévues; à ce titre, le jeu n'est jamais plus brillant que lorsqu'il s'achemine comme un jeu d'enquête Moyenâgeux avec collecte d'indices, interrogations des témoins et confrontation des différents suspects; à ce schéma classique, Pentiment rajoute également la contrainte du temps avec l'impossibilité de pouvoir collecter toutes les informations nécessaires pour un jugement impartial, forçant ainsi le joueur à privilégier des pistes et à en négliger d'autres, sachant de surcroît que la sauvegarde automatique est ici de mise, empêchant ainsi le joueur de rebrousser chemin ou de revenir sur une décision antérieure. Une vraie réussite d'autant que ces enquêtes tortueuses sont également émaillées de nombreuses touches de légèreté, qu'il s'agisse de romances anodines, d'illustrations interactives où nos protagonistes singent des icônes graphiques Moyenâgeuses ou de secrets plus inoffensifs à découvrir.

Et c'est malheureusement là aussi que le bât blesse car Pentiment se détourne de cette voie prometteuse durant son dernier tiers pour changer complètement son fusil d'épaule, imposant au joueur une sorte d'investigation historique beaucoup plus dirigiste et bien moins haletante dans ses enjeux.

A condition de faire le deuil d'un RPG Moyenâgeux, vous pouvez néanmoins apprécier Pentiment pour sa démarche honorable de proposer un cadre atypique pour un jeu d'enquête, même si ce n'est finalement pas l'approche que le jeu assume jusqu'à son dénouement, au moment où la narration prend peut être davantage le pas sur l'interactivité, avec une réflexion un peu trop imposée au joueur en pleine figure. Néanmoins, force est de constater que c'est probablement la proposition interactive la plus intéressante proposée sur la console de Microsoft durant ces dernières années pas toujours très heureuses en la matière; Pentiment n'a peut être pas l'étoffe des grands jeux mais il s'efforce au moins de se présenter sous des atours assez inattendus. Et même si ce n'est sans doute qu'un verre à moitié plein, la prise de risque mérite quand même d'être saluée.