J'envie parfois les incultes. Tout leur paraît neuf. Peut-être même magique, tiens, maintenant que j'y pense. Cela doit être reposant de vivre dans un monde mystique où tout fonctionne pour des raisons que vous êtes parfaitement incapable de ne serait-ce que tenter d'explorer. Chaque objet constitue un mystère insondable. Chaque notion nébuleuse apprise de travers par le truchement du bouche-à-oreille devient la source de myriades de débats approximatifs entre gens qui ne savent pas vraiment de quoi ils causent mais sont cependant prêts à défendre leur point de vue sur leur honneur. Si nécessaire... dans un duel d'insultes digne de Monkey Island. Enfin, autant être franc, le talent en moins. Faut pas s'attendre à des miracles d'éloquence dans les joutes oratoires d'incultes. Déjà, ils sont très limités par leur vocabulaire. Ce qui joue généralement un rôle dans ce type de duels et nous explique avec aisance pourquoi ceux-ci finissent la plupart du temps par une répétition générale de trois ou quatre arguments majeurs articulés autour de la vertu – souvent considérée d'un point de vue éristique comme discutable – de leurs génitrices respectives. Sur ce sujet, vous pouvez me croire. Cela fait maintenant plus d'une décennie qu'on m'insulte sur internet. J'ai vu toutes les variations langagières de ce domaine d'activité. Ceci dit, cela doit être exaltant d'être aussi libre.


Il va sans dire qu'il m'est malheureusement impossible d'imaginer avec acuité comment l'on se sent quand l'on est de cette portion de l'humanité. Tout ceci m'est extérieur. Je suis, telle est ma croix dit-il en repoussant une mèche de cheveux purement métaphorique derrière une oreille qui l'est presque autant, habité par de constantes vagues de doute existentiel qui me poussent à tenter de devenir un meilleur être humain. Chaque jour, je tente d'exceller. Souvent, autant l'admettre, j'échoue. C'est ça qui fait de moi un homo sapiens. (Ce n'est pas sale.) Vous comprenez maintenant pourquoi il m'est très dur d'imaginer comment mes congénères conçoivent l'univers. Peut-être voient-ils le monde en fréquence soniques ? Leur vision est elle faite de couleurs impressionnistes pures ? Peut-être même leur est-il possible de voir dans Hyper Light Drifter autre chose qu'une série de mécanismes pris ailleurs et agencés avec tact dans un monde joli mais pas très lisible doté d'une ambiance proche de celle de Shadow of the Colossus. Je ne le saurai jamais... et tel est pourtant aussi le charme de la vie. Nous vivons tous dans une subjectivité mystérieuse dont nous ignorons si elle rencontre jamais vraiment celle des autres.


J'ai souvenir que lors des premiers rounds de communication autour du jeu vidéo indépendant l'on mentionnait souvent que ce nouveau pan de la question vidéoludique serait celui de l'expérimentation pure et dure. L'homme en costume rayé et chapeau haut de forme payé pour l'occasion nous soutenait que l'on y verrait de nouvelles idées exécutées de manière audacieuse par des créateurs autodidactes susceptibles de révolutionner la discipline. D'un habile mouvement du poignet il pointa sa canne de magicien vers le public pour lui demander son avis. Vous mademoiselle, dit-il avec toute l'aisance d'un numéro répété maintes fois, vous en pensez quoi ? "Oh, c'est magnifique, enfin une vision du jeu vidéo libre de tous les impératifs monétaires du segment AAA, hihihi" nous avança une jeune dame au sourire photogénique. Je me demanderai toujours si elle n'était pas de connivence avec ce Monsieur soi-disant Loyal. Ils avaient comme qui dirait un air de famille. Quelque chose dans les oreilles. Puis, petit à petit, la réalité à fini par s'immiscer dans ces saines notions philosophiques défendues à grands coups de marketing. L'on avait oublié le public. Foutu public. Il a suivi les impératifs qui sont les siens : exiger du familier, suivre la mode, s'enthousiasmer pour le joli plutôt que pour le beau, mais surtout... mépriser le gameplay en préférant à tout prix privilégier les jeux jolis.


C'est pour ça que je ne suis pas réellement stupéfait de constater que de nos jours la plupart des titres encensés par la critique ou couronnés de succès par le public rentrent dans trois catégories. La première étant celle des titres racontant avec de jolis graphismes tour à tour tristes ou épurés – c'est moins cher, en fait - l'histoire d'un scénario malheureusement trop convenu/prévisible pour être accepté dans n'importe quel autre domaine. Il paraît que c'est très profond. La seconde est celle des mélanges étranges de notions de gameplay accordés à la mode du jour. Pour l'instant il suffit de rajouter la mention roguelike à un succès du passé et l'on obtient un succès d'estime. La troisième, celle dont participe cet Hyper Light Drifter, consiste en un mélange de concepts vus ailleurs dans quelques classiques du jeu vidéo dans un hommage censé présenter ses charmes à une nouvelle génération... mais qui se vend souvent à un public de nostalgiques venus ici se nourrir des restes réchauffés de leur enfance.


Mais n'imaginez pas que ce titre soit juste un cocktail efficace du système de soin de Dark Souls, d'une portion des mécanismes de base d'un twin-stick shooter, de l'exploration silencieuse d'Ico et de l'esthétique de Shadow of the Colossus. Oh non. Il a aussi de très jolies cinématiques et un système de combat où l'on recharge son flingue en tapant sur les gens avec sa Master Sword. C'est ça, en fait, son idée originale. Et malgré tout ce que j'en ai dit ; ça suffit. N'imaginez pas cependant que ce soit un titre qui fasse pour The Legend of Zelda ce que Shovel Knight était arrivé à faire pour les systèmes de DuckTales. Il ne magnifie pas son héritage pour en tirer la quintessence d'un titre presque parfait. Non, mais il en tire une variation agréable qui plaira d'autant plus à ceux qui n'ont jamais joué à un jeu classique de leur vie. Shpom. Prenez ça dans les dents, les incultes. Enfin, si vous savez lire.

MaSQuEdePuSTA
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le 28 déc. 2016

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