1998. Intérieur jour. Une rédaction miteuse comme tant d'autres.
L'intégralité des "journalistes" vidéoludiques de l'époque hurle à tue-tête que décidément - sérieux, hein, cette fois-ci c'est la bonne - le jeu vidéo est devenu un art narratif majeur qui n'a rien à envier du tout aux autres disciplines déjà établies dans le domaine. Même pas au théâtre, d'ailleurs. C'est dire si le jeu vidéo est devenu pompeux. Faut dire que l'année leur donne vaguement raison. Elle comporte quelques-uns des plus grands trésors de la discipline dont, entre autres, mais pas uniquement : Half-Life, Grim Fandango, Ocarina of Time et même... Metal Gear Solid. L'on peut comprendre l'engouement démesuré que ces titres maintenant surannés ont pu susciter sur l'esprit aisément fasciné des hommes à lunettes de l'époque. Le futur était arrivé. Il avait amené dans son escarcelle pixellisée des scénarios, des acteurs, des graphismes, de la mise en scène et même un vague sens d'amusement susceptible de nouer le tout en une activité susceptible d'être qualifiée de ludique. Le jeu vidéo avait changé. Seule question... mais pourquoi?


J'imagine qu'il était las de passer pour un jouet sophistiqué pour enfants désœuvrés. Sans-doute espérait-il être un jour reconnu comme plus qu'un produit. Il voulait du pathos, de l'ethos et peut-être même de l'Aramis. Toutes ces qualités qui suintent maintenant abondamment de titres qui se prétendent vidéoludiques mais chevauchent cependant sans charme la limite entre pure exploitation de tropes narratifs établis ailleurs et petites productions prétentieuses prétendument profondes. Au milieu? Big Boss. Snake. Snaaake. La légende vivante de la soldatesque. Le seul protagoniste vidéoludique habitant une œuvre profondément sincère. Il n'y a pas de savants calculs post-modernes dans Metal Gear Solid. Juste l'histoire d'un otaku à lunettes vieillissant qui pense comprendre ce que c'est que d'être une légende. Ses scénarios? Compliqués mais pourtant principalement constitués de mots creux qui sonnent bien. Son inspiration? Le meilleur de Carpenter. Son gameplay? Trois mots : Tactical Espionage Operations. Il n'en faut pas plus pour faire rêver.


La discipline porte un nom : le Jeu Hideo. Son but est simple : satisfaire un homme. Une démarche saine qui se trouve paradoxalement être celle de l'artiste. Créer l'impossible n'est réellement enviable que si quelqu'un en a sincèrement besoin. C'est d'ailleurs autour de cet axe que s'articule toute la production moderne. Un côté de l'équation mène aux calculs stériles uniquement consuméristes soi-disant novateurs qui remplissent les cimetières de la société de consommation. L'autre aux excès d'autosatisfaction hermétiques du jeu vidéo indépendant. (Vous savez, tous ces jeux indigents qui sont soi-disant géniaux car ils remplissent un fantasme très spécifique pour lequel un public très étrange est prêt à payer très cher et ça malgré le fait que ce soient de très pauvres titres en termes de gameplay.) Kojima, lui, cherche juste à se satisfaire. Il sait ce qu'il veut et peut même prouver que des millions d'êtres humains sont prêts à partager son univers. D'une certaine manière cela fait maintenant près de trente ans que nous vivons dans sa tête. Nous en voulons toujours plus. Et c'est malheureusement pour cette raison précise que nous n'aurons jamais la fin satisfaisante que nous méritons. Telle est la loi des séries.


Inachevé. C'est bien l'adjectif idoine. Metal Gear Solid V est beaucoup de choses : la réinvention inespérée d'un chef-d'œuvre daté, une ambitieuse déconstruction d'un personnage iconique, la marque d'une évolution indéniable du talent d'Hideo Kojima dans le domaine du game-design et pourtant... il est inachevé. Il le restera sans-doute à tout jamais. C'est comme ça. Faudra vivre avec. Alors, c'est évident, ce n'est pas une grande tragédie. Le jeu est assez puissant par son propos pour mériter d'être vécu. C'est ça l'important. Entre ses aspects en ligne étranges et pourtant novateurs et ses mécanismes open-world qui le sont tout autant; l'on aurait juste pu espérer en avoir plus. C'est que Kojima nous a habitué au grandiose, au démesuré, aux solos mémorables de quelques heures et soudain... le voilà humain. Rabattu par une compagnie en pleine crise d'identité le créateur japonais semble vieux pour la première fois. Il n'a plus la force de se faire pleinement obéir par la structure qu'il a pourtant aidé à construire. Lui qui était connu pour la ferveur inspirée chez ses ouailles peine à se faire respecter par ceux qu'il a contribué à mettre au pouvoir. Si l'on vous parle de The Phantom Pain; cela doit bien être celle-là. Celle du respect perdu que l'on vous doit. Des petites erreurs qu'on vous force à commettre pour pouvoir achever une œuvre que vous n'aviez pas réellement envie d'entamer.


En l'état - et celui-ci ne changera probablement pas - The Phantom Pain est deux tiers d'un titre génial qui aurait pu être le meilleur de la série. Libre à vous de savoir si vous voulez voir ce qui arrive aux Légendes Vivantes. D'habitude? Elles meurent. J'en sais quelque chose.

MaSQuEdePuSTA
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le 6 nov. 2015

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