Firewatch
7.2
Firewatch

Jeu de Campo Santo et Panic Inc. (2016PlayStation 4)

Une coupure avec la réalité, un repos bien mérité

Je viens de finir, avec toute la douceur que ce jeu m'a procuré, Firewatch. Il s'agit d'un jeu narratif que j'ai pu choper à un prix réduit mais dont la beauté et l'immersivité intriguante m'ont tant touché que j'aurai bien pu mettre le double du prix de base sans rechigner. Attention, il s'agit d'une critique plutôt adressée aux joueurs ayant terminé le jeu, voir depuis quelques semaines.


Tout d'abord, la narration est chargée symboliquement. Pour comprendre cela, il suffit de commencer par connaître le personnage que l'on incarne: il s'agit d'un dénommé Henry, le jeu veut faire de nous un homme simple, c'est à dire gentil, suffisamment vieux pour ne pas connaître (voir témoigner d'une certaine aversion pour) la culture geek mais suffisamment jeune pour s'aventurer à risquer, parfois sa vie, dans des missions assez physiques, bref, un "papa" qui en aurait l'âge, un mec qui se situe un peu avant la fleure de l'âge, deuxième bref, une sorte d'antihéros un peu comme les jeux narratifs ont maintenant l'habitude de faire (bien souvent pour poser une réflexion sur des questions existentielles qui se rapprochent du sens de la vie).
Connaissant sa vie, et plus particulièrement sa relation avec une certaine Julia, qui sera relatée sobrement à travers des textes incluant des choix quoiqu'un peu inutiles mais du moins constituant le début de ce qui fera une des essences même du jeu, c'est à dire l'expérience personnelle, l'interprétation de la vie dont nous sommes maîtres, du jeu auquel nous jouons, la joie d'Henry sera bouleversée par une accumulation d'éléments en chaine intensifiant la monotonie et les problèmes presque fatals du personnage.
Julia, alors atteinte d'Alzheimer, le poste de guetteur en forêt s'offre de manière un peu hasardeuse à Henry qui s'empresse de toucher l'opportunité. En effet, Firewatch est comme une métaphore du break dans la vie d'un homme bloqué devant des difficultés: il souhaite se libérer de son train-train quotidien et insupportable (mais dont il se tient de cacher vis à vis de sa femme) car il ne retrouve plus que des problèmes. Ainsi, le travail de garde forestier, qui permet de se rapprocher de la nature, ne serait il pas une manière de réaliser cette volonté, de s'évader d'une vie citadine complexe et souffrante, surtout vis à vis de l'amour, pour pouvoir se concentrer sur autre chose, faire un point sur sois même, son vécu.
Qui plus est, cette idée d'un émancipement du réel pour prévaloir l'évasion peut s'appliquer également à nous, joueurs, qui n'avons qu'une envie au contact de notre manette, allant de la détente à parfois, une véritable envie de se libérer d'une routine ou d'une vie quotidienne qui nous pose défauts et c'est peut être là un des objectifs de ce jeu, dans ces cas là, montrer la force psychologique et les répercussions bienfaitrices du jeu vidéo sur celui qui joue.
Puis, une observation intéressante se pose au niveau de l'ambiguïté de notre personnage. En effet, c'est dans cette perspective d'introspection d'Henry, le "héros" sois dit en passant, que ce dernier va entretenir une relation nouvelle avec un interlocuteur, immatérielle puisqu'ils ne se verront, ni ne se toucheront pas, mais qui reste existante. Delilah serait donc tout d'abord la seule présence humaine qui empecherait Henry de sombrer dans la folie (qui résulterait d'une solitude trop forte) mais pas assez proche "physiquement" pour casser avec l'esprit d'introspection du jeu, puis serait elle un personnage servant à une intrigue, généralement de rigueur dans un jeu narratif (même si nous pouvons autant rapprocher Firewatch d'une simulation de promenade (ex: Journey) que d'une véritable histoire à scénario qui implique des choix (ex: Life is strange)) et enfin, Delilah serait elle aussi simplement la voix qui guiderait Henry vers sa quête de lui même, son bilan, la source de toute résolution de ses problèmes, celle qui est là pour faire se confronter Henry à la tentation d'une autre femme et qui pousse au contraire le héros à rester fidèle et à le faire repartir dans la vie active qu'il a connu.
Les derniers mots de Delilah sont d'ailleurs pour moi très significatifs dans le sens où elle place littéralement un vent à Henry si celui ci lui demande de partir avec elle et lui demande à l'inverse de rejoindre sa Julia. On est presque au point de se demander si celle ci, Delilah, ne serait en réalité qu'une voix imaginaire qui résonnerait, en fait, dans l'esprit d'un héros un peu perdu. La découverte du poste d'observation de celle ci ne résulterait là aussi que de l'imagination qui perturbe même la perception visuelle de Henry.
Cependant, cette métaphore d'une conscience intérieure n'exclut pas totalement la réelle existence de Delilah, mais,je me dois de dire que j'aimais bien la beauté de cette théorie mettant en relief la puissance du fruit de l'imagination (n'y voyais pas ici un clin d'oeil à One Piece) et le caractère seul de Henry. Henry est donc en période de désarroi durant tout le jeu et cherche à trouver une évasion qui le fasse oublier; je le trouve même parfois assez négligeant quand à la situation de sa petite amie à qui il ne réussit à dire que quelques mots, un soir, dans tout le jeu, et comment il semble entretenir la relation avec sa "nouvelle amie".


Pourtant, l'impression de morosité et de désespoir absolu n'est pas la seule image que l'on retient du jeu; il y a aussi ces graphismes épurés qui offrent un mariage de couleurs tantôt vivace, tranquillisant, appeurant (comme la grotte) ou "matinal".
La petite vallée où se trouvent les câbles reliés par des poteaux m'évoque une envie de descendre à vive allure de ma colline, bénéficiant d'un certains sentiment de liberté, où les couleurs vives et le soleil au zénith m'emportent dans son excitation (qui va d'ailleurs s'allier à un certains suspens lorsqu'on arrive au câble coupé, place située en hauteur où l'on se sent à découvert et où l'on sent une intrigue se tramer en fond, peut être symbolisée par le poteau à côté de nous, qui nous surplombe, telle une menace qui semble commencer à nous recouvrir de son voile).
Autres exemples, j'ai été particulièrement marqué par la mise en scène splendide (et qui a peut être réveillé en moi un sentiment de nostalgie) du vieil arbre de Conttonwood Creek tout comme j'ai été bercé par la clairière de Five Mile Creek, dont l'espacement des troncs laisse s'immiscer des rayons de soleils orangés octroyant une expressivité propre à cet endroit.
De plus, certains endroits (surtout ceux situés au centre de la carte formant d'ailleurs une sorte de petit labyrinthe) changent complètement d'ambiance d'une heure heure à l'autre de la journée. Bref, la direction artistique du jeu est impeccable, au style peu détaillé qui donne une certaine identité à ce jeu de petit budget qui permet à la fois d'émouvoir dans une ambiance attrayante et de dorer le suspens dans cette nature qui peut ne pas paraître tellement safe que ça.
Et tout cela sans parler du dernier acte, véritable métamorphose (un peu épique) de cette nature en un véritable danger (apocalyptique) qui pousse le héros à se détacher à nouveau d'un endroit qu'il aime, signe du fait que les soucis le suivent partout et qu'il est surtout temps de revenir au temps présent. Je pourrai développer encore des heures tellement ce jeu m'a plut et m'a intrigué.
Je dois tout de même signifier que je n'est pas été spécialement emballé par le scénario mettant en scène Brian et Ned, que je n'ai qu'à peu près saisi lors du message vocal de Ned. Cependant, le drame était assez prenant tout comme les multiples hypothèses que l'on pouvait se poser au sujet de nos agresseurs.


En conclusion, tout comme Henry, vous vous réveillez tous les jours dans ce même T1 chargé en sentiments forts, vous appréhendez votre futur à l'horizon et vous partez à la chasse armé de votre hache et de votre cher passé pour régler vos présents soucis; vous vous rendez alors compte qu'il s'agit d'une véritable traversée du désert en solitaire. Mais ne vous inquiétez pas, car votre conscience est là pour discuter et vous faire aller de l'avant !

Antlast1
9
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le 7 juil. 2017

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