A Perfect Red Snapper Dish
6.7
A Perfect Red Snapper Dish

Court-métrage de Na Hong-Jin (2005)

Spécialiste du mélange des genres, le cinéma coréen brille aujourd’hui par son réalisme frôlant l’excentricité. Auteur de trois longs métrages, Na Hong Jin a su s’imposer en peu de temps comme une référence du thriller asiatique. A Perfect Red Snapper Dish est le second court du réalisateur mais le premier auquel nous avons accès. Il cristallise déjà certains motifs et thèmes récurrents de ses films : fatalité des personnages, humour noir grinçant, fin lugubre… mais n’aborde pas encore le genre du film policier au profit d’une étrange opération de cuisinier malchanceux.


La première chose qui marque dans ce film, c’est l’univers burlesque. La relative insensibilité physique du protagoniste (qui n’hésite pas à se griller la main, se couper un doigt, s’arracher un œil…) nous ferait penser à une comédie slapstick, où le corps, invincible, prévaut sur les émotions. L'humour provoque, un peu à la manière d'un Delicatessen.

De plus, le film trouve sa propre originalité en s'inspirant d'univers distincts. Muet mais en couleur, il emprunte autant aux vieux artifices (transitions en volet, par iris, fondus enchaînés visibles) qu'aux codes du fantastique : la cuisine a l'apparence d'une grotte secrète, où mijotent quelques bouillons de druides, parmi les tubes à essai et autres ustensiles plus ou moins identifiables... Même la lumière est artificielle, pas un rayon de soleil ne pointe le bout de son nez dans ce huis clos quasi-ésotérique.


Mais ce qui nous touche, c’est la fermeté du cuisinier. Malgré ses tentatives ratées, il reste concentré. Certes, un soupçon de colère frémit sur son visage (sur lequel la caméra zoome à trois reprises, comme pour "confiner" ce sentiment) mais il n'entre dans aucun accès de rage. Pourtant, absolument tout cherche à l'épuiser, à le pousser à bout. La malchance d'une part, mais aussi l'ambiance, chaude et suffocante : les couleurs, les activités suantes, le montage rapide, le four brûlant, le huis-clos étouffant, la musique aride de western… tout s’échauffe, tout brûle. Il y a toujours quelque chose qui boue en arrière-plan, même dans les moments de pause. C'est ainsi que nous compatissons. Na Hong Jin s'amuse à nous partager sa frustration de ne pas le voir réussir.


Seul bémol : le plan où l’on voit le regard de la serveuse à travers le trou. On le sait, le regard sert souvent à humaniser les personnages. Or, au début du film, c’est la main de la serveuse qui réveille le cuistot. On la voit se déplacer sur la table, en train de rechercher la cloche qui va le réveiller. A ce moment, on a moins l’impression que c’est la serveuse qui recherche la cloche plutôt que la main elle-même, car elle titube, glisse, vie en autonomie, un peu comme la main coupée de la famille Addams. La serveuse n’aurait pas dû être autre chose que cette main, détachée du reste de son corps, encore moins un œil. Si ce détail me paraît si important, c'est parce que tout dans ce monde fonctionne par découpage : les gros plans isolent et recoupent les aliments, les doigts, les bords de table. Le montage cut succinctement ses plans comme le couteau coupe rapidement ses oignons. Un doigt est laissé dans l’engrenage. Un œil peut être arraché s’il le faut. Tant pis. Ce monde où le corps vit, se détache, s’anime tout seul, ce n’est pas un monde pensant, c’est un monde de machine, mais surtout un monde de fou.


Voilà ce que Na Hong Jin dépeint avec brio, un monde de folie, absurde, où le non-sens règne. Un long travelling avant, silencieux, ouvre le film, qui se termine de la même manière, dans un restaurant envahi par la mort. Entre les deux, une effervescence d’une grande intensité. Mais à quoi bon ? Pour au final faire quoi ? Le film montre que la perfection est inatteignable et sous-entend même sa vacuité. Aussi grandes soient nos actions, tout finira par se taire, comme au commencement.

Antlast1
8
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le 9 juin 2021

Critique lue 107 fois

3 j'aime

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