C’est à croire que le Festival de Cannes 2019 fonctionne par duo. Alors que Les Misérables et Bacurau se répondaient mutuellement et textuellement par leur envie d’identifier l’insurrection des opprimés par la violence du cinéma de genre, voilà que Zombi Child erre sur les plates-bandes de Jarmusch et son The Dead Don’t Die. Ce dernier exprimait le fait que l’Homme est un zombie qui s’ignore : celui de Bonello est peut-être moins ancré dans une atmosphère fantastique et horrifique mais plus idéologique.


À savoir que la « zombification » est à mettre au diapason de l’Histoire, de l’esclavagisme, du colonialisme. Mais d’un côté comme de l’autre, le zombie s’avère être un humain et inversement. Ce phénomène est une conséquence de l’avilissement de l’humain à sa propre société : le terme « zombie » n’a donc pas qu’un seul simple versant métaphorique. Zombi Child suit la même logique que Nocturama, à croire que les deux films forment un diptyque passionnant sur la jeunesse française et les maux qui en découlent. Nocturama, par le prisme du teenage movie et du thriller politique se questionnait sur cette jeunesse et son rapport au consumérisme ; Zombi Child continue dans cette voie-là avec un film sur le vaudou, la possession et met ce genre en perspective d’une France compétitrice, identitaire, où l’école pour filles qui nous est présentée se veut être le réceptacle des valeurs de l’élite de notre pays.


Avec cette sororité lycéenne qui parcourt les couloirs de leurs écoles afin de pratiquer des rites ou même se raconter des secrets aux lueurs de bougie, on pense autant à de la culture populaire d’un Harry Potter qu’au vestige du cinéma des années 70. Au-delà même de son tressage thématique sur la transmission ou même les privilèges, outre la faculté qu’a son découpage à observer les formes d’interrogations adolescentes autant amoureuses, féminines, qu’estudiantines, c’est le style de l’esthète qu’est Bonello qui opère très vite : une fluidité assez rare dans le cadre, une volonté de toujours chercher la lumière par des plans méticuleux et surtout, une vocation à tirer des portraits d’une jeunesse que peu savent faire comme le montrent ces magnifiques plans sur le visage de la jeune Louise Labeque.


Rares sont les cinéastes qui arrivent à filmer la jeunesse avec autant de bienveillance, de drôlerie même mais aussi avec autant de respect dans leur pérégrination, tout en sachant la parodier. À l’instar de Nocturama et de l’Apollonide, ou même de Bande de Filles de Céline Sciamma, Bertrand Bonello filme miraculeusement le groupe, sait identifier rapidement la place de chacun ou chacune et passe d’un visage à un autre pour formuler son récit : à l’image de cette très belle scène de chants en groupe sur du Damso. Avec le montage alterné qu’offre le film, deux récits vont se télescoper : celui nocturne, politique et descriptif autour de Narcisse dans les années 1960 à Haïti, un « zombie » symbole de la conséquence du colonialisme; et celui presque 50 ans plus tard d’un groupe de lycéennes dont l’une d’elle est la petite fille de Narcisse.


Fondamentalement, Zombi Child est un exercice de style assez frappant par son aspect hypnotique, un film qui erre parmi notre époque et qui se sert du genre, le vaudou et l’horreur, pour s’émouvoir sur la présence de certaines pensées actuelles. Avec cette séquence qui voit Fanny, l’une des filles de la bande, vouloir faire une séance de vaudou pour expurger son chagrin d’amour, on retrouve la mysticité flamboyante de Tiresia de ce même Bonello et la singularité même du genre : voir s’évanouir les envies dans les affres de l’incantation.


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Velvetman
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le 11 juin 2019

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