Dès la séquence inaugurale, Costa-Gavras morcelle et fragmente en parcelles éparses un environnement symétriquement arrangé par des uniformes militaires; par l’emploi systématique d’insertions qui s’attardent sur les grades des officiers, il formule une esthétique abstraite, insuffle à l’ordre un désordre contrôlé, et met à nu les systèmes institutionnels opaques de son pays d’origine (la Grèce), à l’époque muselé par la Dictature des colonels.
Jeu narratif que mène adroitement le metteur en scène, la diatribe politique incisive de Z se voit traversée d’une multiplicité de points de vue inaccordables, cacophonie de témoignages contradictoires qui mettent en exergue la volonté fondamentale du réalisateur grec : diagnostiquer, à partir des désorganisations structurelles et de la confusion populaire, la dislocation nationale, la perte d’une identité collective. Les considérations thématiques fourmillent dans ce portrait sublimement tracé de la déliquescence sociétale; de fait, Gavras incarne en chaque personnage un enjeu qui le distingue : que ce soit le journaliste, caricature délicieuse de l’arrivisme médiatique, l’insurgé Manuel qui interroge l’utilité de la lutte pacifique ou Vago qui matérialise la désorientation de la droite populaire. Mais par-delà l’accumulation d’opinions qui se percutent, Z pose un regard désenchanté sur les incuries et la prévarication systémiques. Schémas tentaculaires, ces complots participent du bâillonnement de la parole individuelle et oppriment l’expression des mouvements d’opposition. Fin géomètre, Gavras conçoit de puissantes oppositions spatiales : d’un côté, sont acculées en des lieux clos les pensées souterraines – on pense à une réunion socialiste délivrée au cœur d’une salle ridiculement petite –, de l’autre, sont exposées les manœuvres délictueuses du gouvernement en des milieux ouverts – la brutalisation de témoins clés. En outre, le traitement environnemental souligne la désertion des espaces institutionnels, ancrant la caméra au cœur de décors soit trop grands soit trop exigus, convoquant la froide bureaucratie d’un Kafka.
Loin de se revendiquer formaliste, le réalisateur n’intègre à son métrage que des dispositifs stylistiques issus de la plus fondamentale nécessité narrative. Sans véritable charme, la photographie sonde les univers plus qu’elle ne les magnifie. Astucieux, le montage, axe fondamental de la cinématographie de Z, opère quant à lui d’imperceptibles transitions entre scènes. L’épatante fluidité qui le caractérise vient à brouiller le sens d’une temporalité chronologique; les évènements s’égarent, les témoignages se confondent, et surgissent succinctement des fragments inopinés de souvenirs lointains.
Admirable étude des flux politiques, le scénario dissèque les dérives comportementales des masses et détaille méticuleusement le climat social fiévreux, continuellement refoulé par les contrecoups idéologiques, énièmes réitérations de la frustration des classes sociales. D’ailleurs, parmi la multitude d’éléments sociologiques qu’il passe en revue, Gavras observe prioritairement la dissolution du dialogue entre classes sociales, mettant en scène des êtres polarisés, personnifications d’attitudes politiques excessivement rigides. Avec une bande originale aux airs éclectiques, hybridation de genres divers – entre rock psychédélique et musique méditerranéenne –, partition parfaitement intranquille qui assure une ambiance tendue, Gavras livre une épopée juridique amère qui dénonce les dévoiements totalitaires dans une ère où la manipulation factuelle permet de fomenter, en toute invisibilité, les plus retorses atteintes aux droits de la personne.