Je suis très surpris. Je ne comprends pas. Je m'explique.

J'ai vu d'abord le Bonnello que j'ai beaucoup aimé. Puis, j'ai lu que Pierre Bergé le vouait aux gémonies, le considérant comme homophobe, moralement douteux, etc. J'ai vu qu'aux Césars, le film n'a pas été récompensé comme il se doit, notamment la prestation de Gaspard Ulliel (meilleur acteur à Pierre Niney). Et bien entendu, j'ai vu que le film de Lespert a cartonné au box-office, alors que le Bonnello n'a que survécu honorablement. Autant dire que je m'attendais à ce que le film de Jalil Lespert soit au moins aussi bon si ce n'est supérieur.

Or, je découvre un film très moyen, très plat, mal filmé, pas très bien écrit, très mal mis en scène, ennuyeux, ordinaire en somme et parfois même se livrant à de basses facilités qui irritent vite (pathos, musique lénifiante et envahissante, voix-off).

Seul Pierre Niney trouve grâce à mes yeux sur une grande partie du film. Je n'aime pas non plus sa prestation sur la dernière partie où là encore la mise en scène lui en fait faire des caisses.

Bref, je n'ai pas aimé. Et je ne comprends pas qu'on ait salué ce téléfilm à la place d'un vrai film de cinéma. Je ne comprends pas plus l'immodération de Pierre Bergé, amateur d'art, personnalité clairvoyante et pourtant inapte à voir dans l'œuvre de Bonnello un véritable propos d'artiste, une construction écrite et filmée majeure.

Là où Bonnello cherche à raconter une histoire profonde par le biais de ce parcours de vie que St Laurent présente, à savoir la difficulté d'allier une grande sensibilité, une soif créatrice, l'exigence de perfection et un mal-être presque permanent, une périlleuse tentation autodestructrice, Lespert nous livre une simple présentation biographique, didactique, mais à la linéarité sans relief, ni profondeur, ni transcendance qui dépasserait Saint Laurent, qui toucherait à l'humain dans son sens le plus vaste.

L'autre grande différence est la place accordée à Pierre Bergé. A telle enseigne qu'on pourrait se demander s'il n'eût pas fallu intituler ce film "Yves Saint Laurent et Pierre Bergé". Si c'est bien l'histoire d'amour entre les deux hommes que Jalil Lespert a voulu raconter, alors elle manque cruellement de passion, d'incarnation.

J'adore Guillaume Gallienne et j'en suis d'autant plus navré, mais son Pierre Bergé ne m'a jamais paru convainquant. Je n'y crois pas. J'ai eu beau essayer, je n'y crois pas. La comparaison avec l'excellent Jérémie Rénier est sans appel, cruelle pour le comédien du Français. Son Bergé n'est pas assez autoritaire, massif. Il ne fait pas impression. Aussi, bien difficile pour lui de parvenir à recréer cette histoire d'amour. Où est le lien entre les deux personnages ? Où est le feu? Où est l'eau?

Je redis combien Pierre Niney est bon. Il m'a quelquefois bluffé, mais j'avoue que le jeu de Gaspard Ulliel m'avait réellement touché, aidé par un scénario et une mise en scène inventifs et efficaces. Alors, je suis prêt à croire que cette absence d'émotion ici est largement due à la parure scénique trop chargée. Entre la musique trop présente (parfois aussi terne que la mise en scène d'ailleurs) et l'usage immodéré de la larmichette, pathétisme qui noie littéralement l'émotion, surtout à la fin, le dispositif est trop nettement mis en place pour faire chialer dans les chaumières. Si bien qu'à la fin, je n'en pouvais plus de l'outrance suicidaire de ce Saint Laurent. Je crois fermement que Pierre Niney est alors prisonnier de cette surenchère de souffrances.

Quel dommage que ce film soit un des premiers pour Jalil Lespert ! Cela se voit. J'ai bien noté une scène maîtrisée, celle du premier défilé. La tension dramatique suit parfaitement le crescendo d'émotions. Mais c'est bien la seule. Beaucoup de scènes sont gâchées par la musique ou la voix-off de Gallienne, inutile, lourde ou par l'absence d'idées pour mettre en scène de façon précise et intelligente. Trop souvent, on a le sentiment d'un travail trop simple, sans personnalité, sans fil continu, sans puissance propre. C'est pour cette raison que j'ai parlé plus haut de "téléfilm" : oui, la réalisation est banale. A plusieurs reprises, certains personnages importants sont mal filmés. Voilà le genre de défaut qui saute aux yeux pendant que je fais les captures pour mon blog (si cela n'apparaît pas pendant le visionnage).

Ici, je pense que la raison est à chercher du côté de l'écriture. Une fois de plus, le Bonnello est bien au-dessus sur ce point. Le scénario est inerte, ne crée pas l'envie de suivre, il n'attrape pas le spectateur. Pas d'intrigue, de surprise, de nécessité. Mou, lent, plat, sans invention, le scénario ne met pas en valeur les liens entre les personnages, la vitalité ou la morbidité de leurs relations, les enjeux, les failles, l'essence même de cette histoire. Triste.
Alligator
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le 20 mars 2015

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Alligator

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