Deux films (Un jour avec, un jour sans et celui-ci, au moment du visionnage, même si d'autres sont venus compléter ce sentiment par la suite) seulement auront suffi a susciter une certaine fascination pour Hong Sang-Soo. Les procédés de mise en scène sont quasiment les mêmes, et l'effet produit toujours aussi surprenant. Beaucoup de plans fixes en plan-séquence pour capter d'infimes variations autour d'une position d'équilibre. Des aléas des rencontres et des comportements dépeignant toute la fragilité des relations humaines et toute l'incertitude des lendemains, on progresse doucement vers une autre forme d'étude de mœurs, également subtile et délicate. Toujours les mêmes gestes cinématographiques, toujours les mêmes ambiances, toujours les mêmes préoccupations, semble-t-il, confinant à la lubie aussi douce qu'obsessionnelle.


Si je n'ai aucun mal à imaginer qu'un tel degré de minimalisme dans la mise en scène et dans l'approche thématique puisse rebuter et laisser en partie insensible (triste sort, cependant), il m'est en revanche beaucoup plus difficile de comprendre et donc d'expliciter les raisons qui font surgir de ce même minimalisme, pour peu qu'on y soit réceptif, autant d'émotion(s). En regard de la carapace inhibitive que l'on se construit tous plus ou moins naturellement au cours de nos cinéphilies, la mienne étant particulièrement développée, cela relève de l'extraordinaire. Quatre ou cinq personnages, trois ou quatre lieux, deux ou trois motifs narratifs, et de cette récurrence explose un cocktail sensitif en toute fin de film qu'on ne voit vraiment pas venir. On a beau rapidement identifier les schémas qui reviennent, les répétitions dans la forme, la logique du récit, cela n'empêche en rien le fait qu'on se fait cueillir par la conclusion et ses enseignements, partagés entre simplicité, délicatesse et universalisme. On prend conscience que l'existence, à travers ses interactions sociales dépeintes comme ici, est composée d'une infinité de variations infinitésimales dont les effets peuvent s'avérer gigantesques. C'est une forme de litote cinématographique qui flatte mes prédispositions et ma sensibilité, en s'attaquant à un sujet de manière parfaitement détournée sans pour autant le fuir.


En termes plus prosaïques, j'aime beaucoup le fait que Hong Sang-Soo ne lève pas catégoriquement le voile sur les raisons qui poussent Minjung à se comporter ainsi, y préférant une multiplicité diffuse d'interprétations. Mensonge, folie, acte parfaitement conscient issu d'un désespoir ou dédoublement de la personnalité naissant, véritable gémellité : on ne saura jamais vraiment et ce faisceau d'indices et de possibilités donne toute sa profondeur au personnage. Un personnage à l'identité incertaine, aux contours volontairement flous et à la limite du vertige. Un personnage perdu dans sa solitude, une individualité isolée au milieu de toutes les autres et dont les failles sont simplement un peu plus apparentes. De cette incertitude (diégétique et extra-diégétique, personnages et spectateurs flottant globalement dans le même nuage d'incompréhension) naissent les principaux enjeux du film.


Yourself and Yours se termine comme il a commencé, avec les deux personnages dans le même lit. Sauf que tout a changé. Exactement comme dans Un jour avec, un jour sans, les deux séquences sont presque identiques et tout réside dans le "presque", dans les micro-variations qui en font un moment infiniment plus tendre, au point qu'on se demande s'il s'agit de la même personne. Une chose est sûre, ce n'est plus la même femme, que la métamorphose soit physique ou psychologique. La magie renouvelée des premiers moments amoureux rendue reproductible, si ce n'est éternelle, à la faveur d'un tout petit pas de côté, d'une once de recul, d'un léger décalage du regard romantique.


http://www.je-mattarde.com/index.php?post/Yourself-and-Yours-de-Hong-Sang-Soo-2016

Morrinson
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le 31 mai 2017

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Morrinson

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