Yellow Submarine
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Yellow Submarine

Long-métrage d'animation de George Dunning (1968)

Yellow Submarine, George Dunning, Grande-Bretagne, 1968, 1h25

Avec l’obligation d’honorer un contrat de plusieurs films, mais après l’échec de « Magical Mystery Tour », le projet cinématographique suivant emballe assez peu les Beatles. Pas vraiment impliqué dans son développement (ils ne doublent même pas la voix de leurs alter ego en dessin), le groupe fut néanmoins impressionné par les premières séquences réalisées, et accepta d’apparaître à la fin, lors d’une saynète live. « Yellow Submarine » sert pour eux à honorer un contrat, sans trop s’investir, pourtant, ce film correspond parfaitement, en 1968, à un visuel en accord avec leurs nouvelles expérimentations musicales.


Le groupe de 1968 n’est plus du tout le même qu’en 1963, qui chantait des chansons d’amour, parfois un peu mièvre, où le consentement occupe une place toute optionnelle. En 1968, John, Paul, George et Ringo sont des musiciens accomplis, des artistes ancrés et de véritables mages de l’expérimentation musicale. Leur découverte de la drogue, ainsi que des enseignements spirituels venus de la méditation transcendentale, ont ouvert de nouvelles perspectives au Fab Four. La nature cartoonesque de leurs deux premières productions et l’univers psychédélique du troisième trouvent ici la voie d’une collusion parfaite, par le biais du dessin.


Produit en seulement onze semaines (quand un Disney demande à l’époque quatre ans de développement), « Yellow Submarine » mélange l’aventure initiatique au récit épique, par le biais d’un délire très adulte. Tel un gros trip sous hallucinogène, le métrage embarque son audience dans des péripéties hautes en couleur, où s’entremêlent différents univers, toujours en rapport de près ou de loin avec une extrapolation des maux de notre quotidien. Pourtant, l’ensemble évite la sombriété, déjà parce que le monde proposé est hyper coloré, mais aussi, et c’est dû à l’apport de l’animation, rien n’apparaît comme réellement grave.


Le pouvoir de l’amour, de l’amitié, de la fidélité, d’une force de pensée, deviennent les armes des personnages pour lutter contre un obscurantisme opposé à toute forme musicale. Les Blue Meanies, des créatures absurdes et méchantes, incarnent ainsi tout un imaginaire du conservatisme, ces vieux mâles difformes qui règnent alors en maitre sur les instances mondiales. En opposition, la peuplade de Pepperland veut profiter de l’existence, et de toutes les merveilles qu’elle recèle. Forcément, quand il y en a qui passe du bon temps, ça crée souvent du ressentiment et un raccourci idéologique radical vient s’exprimer par la haine, la guerre et l’anéantissement de l’autre.


Un pessimisme de fond se dégage du récit de ce « Yellow Submarine », sans cesse contrebalancé par un message positif et universel, qui se retrouve dans le scénario, et la quête menée par les quatre garons dans le sous-marin. Ce biais présent au cœur des chansons du film reflète une humanité jamais feinte. Une croyance éthérée, presque naïve, en l’être humain, celui considérant sa place en ce monde comme un privilège, et qui cherche en ce sens à en tirer le meilleur. Cela ne concerne pas celui qui n’arrive pas à s’épanouir et qui pour se donner un peu de consistance doit s’en prendre à ce qui est différent de lui.


Là se situe le cœur de bataille de ce métrage d’animation, qui à plus d’un moment offre des expérimentations psychédéliques. Avec le charme d’un dessin à l’ancienne, auquel l’urgence procure une fébrilité dégagée de toute prétention, ça fonctionne toujours aussi bien tant d’années d’après. Tel un témoignage de l’état d’esprit d’une époque, plus que de cette dernière, la thématique de la drogue, très sous-textuelle, demeure omniprésente. Pour s’en convaincre, il suffit de revoir le passage en illustration de « Lucy in the Sky with Diamonds ». John Lennon et le reste du groupe se sont toujours défendus d’avoir sciemment élaboré les initiales LSD pour cette chanson. Cependant, sa conceptualisation, son message et le rendu visuel, présents dans ce film, démontrent sans doute inconsciemment à quel point l’ouverture d’esprit artistique des Beatles fut influencée par une prise de drogue. À laquelle s’ajoute néanmoins la curiosité envers une nouvelle spiritualité.


En utilisant la technique de la rotoscopie, qui consiste à dessiner par-dessus une vidéo, George Dunning recycle ici du matériel tourné pour un autre projet. Une rupture brise alors la continuité du film, avec un visuel versatile, qui en ajoute à l’expérience inédite proposée. Pour autant, cela ne fait pas de « Yellow Submarine » une œuvre aussi expérimentale (et inaccessible) que « Magical Mystery Tour ». Surtout du fait que ce soit de l’animation, et le dessin est de nature à faire accepter plus de délires visuels, qui se compliquent lors des passages en live. Mais finalement, depuis « A Hard Day’s Night » c’est un style qui sied particulièrement au Beatles, et en 1968 ce qui pouvait leur arriver de mieux était certainement cette nouvelle optique. Elle apparaît comme une bouffée d’oxygène dans la carrière cinématographique complémentaire de leur mythique parcours artistique.


Le grand regret autour de ce projet musical animé, reste la maigre participation des Beatles dans son processus, puisqu’ils se sont contentés de proposer quelques nouvelles chansons, mais la plupart existaient déjà. Ils regretteront rapidement d’avoir pris leur distance, puisque les premières images qui leur seront présentées les pousseront à enregistrer la petite séquence de fin. Cela demeure trop peu pour accorder cette production à leur seul bénéfice et à leur vision, car il fonctionne davantage comme l’écho d’une époque, avec sa contre-culture libertaire et épicurienne. Venu remettre en question de ternes traditions, par l’opposition d’un monde alternatif et coloré, dont l’existence ne dépend que des plus rêveureuses d’entre nous.


Dernière fiction cinématographique par laquelle tout le groupe sera concerné, « Yellow Submarine » clôt l’expérience des Beatles sur le grand écran (le documentaire « Let it Be » sort après leur séparation). Le film rencontre un succès important aux États-Unis, critique et public, il fait exploser le box-office, surtout pour une production de niche comme celle-ci. En Angleterre, l’accueil glacial de la presse témoigne d’une offensive contre le groupe, notamment à cause de ses médiatiques vacances en Inde. La Beatlemania est passée et fait désormais place aux ressentiments des médias et d’une part du public, qui restent hermétiques à cette nouvelle orientation d’une formation en perpétuelle évolution.


Aujourd’hui, les Beatles et ce film forment une partie intégrée à notre culture populaire. Elle réside dans une influence qui ne cesse depuis plus de cinquante ans, née d’une expression nouvelle pour la jeunesse occidentale. En 2022, du haut de leurs 80 ans, les deux Beatles survivants apparaissent plus comme des sages ayant montré une voie possible, avec des enseignements distillés à travers leur musique et leur cinéma. Ils ont favorisé la diffusion d’un état d’esprit déconstruit de toutes conventions sociales, en faisant fi des modes, pour établir leur propre univers. Cela démontre à quel point ces quatre types, qui voulaient s’éclater et vivre de leurs passions, ont su transmettre un idéal universel et intemporel. Dans ce dernier, il devient même plus facile de s’y retrouver, un demi-siècle plus tard, que dans le quotidien morose auquel nous sommes confrontés dans un monde en déréliction.


Le voilà le message derrière « Yellow Submarine », loin d’un manichéisme de façade entre les Blue Meanies et Pepperland. C’est avant tout une invitation à ouvrir les yeux sur l’existence, la relativiser et prendre la tangente d’une vie dégagée de toute contrainte, afin de profiter au maximum de tous les plaisirs qu’elle peut nous offrir. Alors oui, la drogue a eu une influence certainement positive sur les Beatles, et c’est bien la raison pour laquelle dans nos sociétés arriérées, certaine drogue reste considérée comme un danger, quand d’autres non. Le risque se présente dans la prise de conscience qu’un autre monde demeure une possibilité, et qu’il existe une infinité d’expériences potentiellement à portée de main. L’hypocrisie réside dans ce voile sur la face, qui préfère considérer une musique non pour ce qu’elle est et pour ce qu’elle a pu apporter. Pourtant, à travers le prisme de quatre personnalités, ayant façonné une partie des années 1960, s’exprime une liberté présente au cœur de chacun de nos êtres.


Mais c’est encore Bill Hicks qui en parle le mieux :



Man, the Beatles were so high, they let Ringo sing a couple of times. Tell me they weren't partying. [singing:] "We all live in a yellow submarine, yellow submarine..."
We all live in a... you know how fuckin' high they were when they wrote that? They had to pull Ringo off the ceiling with a rake to sing that fuckin' song.



"John, get Ringo. He's in the corner."
"Put him-- ooh, look at him scootch! Grab him!"
"Get him! Hook his bell bottom! Hook his bell bottom!"
"He's got a song he wants to sing us. Something about living in a yellow tambourine or something." "Ringo, Yoko's gone! Come down! We can party again!"



They were real high, they wrote great music, drugs did have a positive effect.



-Stork_

Peeping_Stork
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le 1 févr. 2022

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