X-Men
6.5
X-Men

Film de Bryan Singer (2000)

Vingt ans ! Ça ne nous rajeunit pas, de se dire que cela fait exactement deux décennies qu'est sorti sur nos écrans X-Men de Bryan Singer, premier d'une et chaotique incursion cinématographique dans l'univers des mutants de Marvel. On aurait même tendance à oublier combien ce film était, sinon révolutionnaire, tout du moins d'une facture totalement novatrice en son genre. Dire qu'il a amorcé la domination sans partage qu'exercent actuellement les films de super-héros sur le paysage hollywoodien serait aller un peu vite en besogne, mais il n'en demeure pas moins qu'X-Men était en avance sur son temps (ce qui ne manque pas d'ironie en soi, pour un film censé se passer "dans un future proche" mais où apparaissent les tours du World Trade Center...).


Le pari était pourtant risqué ; certes, les mutants de la série de comics créée par les géants Stan Lee et Jack Kirby en 1963 faisaient alors partie des super-héros les plus populaires et les plus reconnaissables du 9ème art, cela en grande partie grâce à la série animée des années 90, mais jamais le grand écran n'avait alors sérieusement entrepris de filmer un ensemble de personnages dotés de super-pouvoirs, préférant jusqu'à présent se cantonner aux figures solitaires telles que Batman et Superman (ce dernier ayant d'ailleurs été adapté à l'écran par Richard Donner, l'un des producteurs de X-Men). De fait, visuellement parlant, le long-métrage de Singer était, à sa sortie à l'aube du XXIème siècle, du jamais-vu. En cela il repoussa les frontières de ce qui pouvait être montré à l'écran en terme de pouvoirs extravagants, ce que Marvel continue de faire aujourd'hui, reconnaissons-leur cela.


Du point de vue thématique aussi, X-Men était incontestablement novateur. Les versions de Batman et Superman susmentionnées n'étaient pas toujours dénuées d'intelligence, mais elles ne se départaient jamais d'un côté tantôt bon-enfant, tantôt grand-guignolesque, de sorte qu'il était tout aussi difficile d'y cerner le second degré que de les prendre vraiment au sérieux. Le sérieux, X-Men le revendique fièrement, et s'en donne les moyens.


Imaginez un peu la tête des spectateurs venus voir des hurluberlus en costume de latex, pour se retrouver d'entrée (passé un générique certes kitschissime, jouant les montagnes russes dans un ensemble criard d'atomes reproduits en 3D) devant une reconstitution de la Shoah en Pologne ! Mais cette scène d'ouverture est précisément aussi osée que géniale : rien de tel pour introduire le principal antagoniste tout en ancrant résolument le film dans un cadre réaliste, exercice pourtant ô combien périlleux et encore aujourd'hui rarement réussi, le maître-étalon en la matière demeurant toutefois The Dark Knight de Christopher Nolan, sorti huit ans plus tard.


Cette impression est d'ailleurs renforcée dès la scène suivante, qui introduit quant à elle le principal personnage féminin (et McGuffin) du film, Marie alias Rogue (Anna Paquin), de manière guère moins traumatisante. Les super-pouvoirs, c'est cool, à condition de savoir les maîtriser - mais le prix à payer est élevé, voilà ce que nous dit X-Men.


Ce prix, c'est bien sûr celui de la méfiance, voire carrément de l'exclusion prônée par le sénateur Kelly (Bruce Davison), en faveur d'un recensement de toutes les personnes atteintes de mutation sur le territoire américain. Mesure évidemment intolérable aux yeux des mutants qui ne demandent qu'à vivre normalement au sein de la population, mais tous ne réagissent pas de la même façon. C'est là qu'apparaît le deuxième enjeu du film : la lutte entre le "Professeur X", Charles Xavier (Patrick Stewart), télépathe partisan d'une médiation non-violente, et son ami devenu rival Erik "Magneto" Lensherr (Ian McKellen), survivant de l'Holocauste, capable de faire bouger les métaux sans les toucher. Ce duel est sciemment basé sur la différence de méthodes entre Martin Luther King et Malcolm X (justement!) au moment du combat des Noirs américains pour leurs droits civiques dans les années 60.


Génocide, ségrégation, angoisse adolescente : autant de concepts fermement ancrés dans le réel, et qui permettent d'investir le spectateur dans l'histoire, au lieu de simplement le divertir au moyen d'une présentation fantaisiste. Ce n'est pas pour dire qu'X-Men n'est pas divertissant, loin de là : les effets spéciaux ont globalement très bien vieilli (si l'on excepte des câbles encore plus grossiers que dans Tigre et Dragon), ce qui permet à Singer de répondre à la promesse de grand spectacle du concept tout en développant ses thèmes intrinsèques.


Cela étant dit, l'action est généralement assez "bof" et répétitive, la démonstration de Magneto face aux policiers et l'affrontement entre Wolverine et Mystique se détachant du lot. Les scènes de combat ne sont globalement pas aidées par une partition étrangement plate du grand Michael Kamen (Permis de Tuer, Die Hard, L'Arme Fatale toujours pour le compte de Donner), pourtant spécialiste du genre.


Mais l'autre grande force d'X-Men, la plus essentielle peut-être à son succès, c'est son casting. Embaucher deux vénérables acteurs shakespeariens dans un "divertissement tous publics" n'a aujourd'hui rien d'anormal, mais c'était une aberration à l'époque ! Là encore, le pari en valait la chandelle : amis de longue date à la ville comme à l'écran, Stewart et McKellen illuminent l'écran de leur majesté. Famke Janssen, Halle Berry, James Marsden, Ray Park, tous font mouche dans leur rôle secondaire, mais LA révélation du film, c'est indubitablement Hugh Jackman en Logan alias Wolverine, le mutant bourru aux griffes d'acier, devenu le visage-même de la franchise.


Dire que l'acteur Dougray Scott était le premier choix de Singer, mais qu'il refusa pour jouer les méchants de service dans Mission Impossible II, le malheureux ! Cela en dit long sur le peu de confiance qu'inspirait le projet X-Men dans la sphère hollywoodienne avant sa sortie... pour le remplacer, on chercha à recruter Russell Crowe, qui venait de faire Gladiator et refusait de se transformer en icône du film d'action, aussi recommanda-t-il son ami Jackman. Encore un coup de dés, le physique avantageux de l'Australien ne correspondant pas vraiment à celui râblé de son alter-ego du comics, mais le charisme et le talent de Jackman balayèrent tout circonspection à son endroit, à grands renforts de punchlines bien senties et de coups de griffes.


Un héros à l'image de son film, en somme, car X-Men se révéla une réussite critique et commerciale aussi inattendue que méritée. Vingt ans plus tard, le film de Bryan Singer n'a rien perdu de son mordant, d'autant que son format relativement court et concassé jure positivement, à mon sens, avec la vaste majorité des grosses cylindrées d'aujourd'hui. Cet atout est peut-être aussi son principal défaut, en le faisant davantage ressembler à la mise en bouche d'un mets plus ambitieux qu'à un véritable ensemble fini et cohésif, mais si cela veut dire que la suite promet d'être encore meilleure, je ne vais pas cracher dans la soupe ! (Spoiler: c'est le cas)

Szalinowski
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le 31 mars 2020

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