Dès son premier plan, renvoyant autant à La Prisonnière du Désert qu’à Massacre à la Tronçonneuse, mais aussi à un format d’image qu’il emploiera plus tard en référence au porno amateur (le 4/3), X semble retracer une histoire cinématographique, celle des États-Unis, obnubilée par la violence et le sexe. Une histoire qui se tisse des studios aux amateurs, des grands aux petits films, des années 1940 aux années 1970. Et même jusqu’à X aujourd’hui.


Tous ces films ont cependant comme point commun de prendre place au Texas, utilisé comme berceau des rêves comme des cauchemars américains (pour l'anecdote, le précédent film de Ti West est un western intitulé In a Valley of Violence). Bref, toute cette synthèse visuelle, qui va de la connotation originelle au déchaînement contre-culturel, semble être là pour indiquer le début d’une réflexion sur la fin et les moyens en Amérique : ce à quoi rêve la nation, ce qu’elle emploie pour y parvenir, ce qui la hante, et les images qu’elle génère autour de ça.


Et cette tension entre violence et sexualité sur fond d’un pays obsédé par l’idée d'accomplissement, c’est bien tout le propos du nouveau film de Ti West, qui raconte le tournage d’un porno amateur dans lequel se lancent 6 individus avec des rêves plein la tête. Tournage qui a lieu dans une ferme au fin fond du Texas, en 1979, et dont les propriétaires, un très vieux couple, ne sont pas mis au courant. Mauvaise idée, car tout part violemment en vrille.


Le réalisateur fait directement dialoguer ses thématiques en recourant dans son montage à des mises en abyme qui mettent en parallèle l’action de son film et celle du porno amateur en question (Les filles du fermier), mais aussi son intrigue et l’émission évangélique qui semble rythmer la vie du vieux couple. Bref, tout ça offre une certaine idée de l’Amérique, de ses valeurs, de ses obsessions et des liens qu’ils entretiennent. Sa mise en scène, joueuse et pleine d’humour, s’amuse aussi à multiplier les références au films d’exploitation des 70’s, et donc bien évidemment aux pornos (split-screen, 4/3, raccord volet, teinte de l’image…).


Mais au-delà du fait que la mise en scène de Ti West amuse ou fasse réfléchir autour de son iconographie, on peut admirer plus fondamentalement son travail patient et consciencieux du suspense :


il faut ici environ 1h avant que démarrent les hostilités.


Toute la première partie du film est marquée par une tension ciselée, s’appuyant sur quelques acquis du passé mais n’hésitant pas non plus à exploiter des compositions que seule offre la technologie moderne. Avant toute chose, on peut donc apprécier un film à l’esthétique et aux effets soignés. Plus tard, quand on plonge vraiment dans l’horreur, on pourra toujours regretter quelques jump-scare faciles et le fait que, forcément, lorsque le massacre commence, la tension se dégonfle. Mais au moins le gore est réjouissant et Ti West sait conserver de l’horreur 70’s sa vraie intensité.


Le modèle ici, c’est bien sûr Massacre à la Tronçonneuse. Du film-culte, il reprend son cadre (l’Amérique du bas, la campagne brûlée par le soleil, la ferme isolée), certains de ses thèmes (la nature sauvage de l’homme, la violence qui émerge au-delà des lois et des villes) et la figure inquiétante des rednecks et de leur corps repoussant. Mais à ce niveau, X ne se contente pas d’offrir malaise et dégoût à ses spectateurs, puisqu’il joue aussi sur leur pitié. C’est l’une des réussites du film, le fait de dépeindre, au-delà de ses références, des antagonistes monstrueux mais néanmoins empathiques.


Car plus que le jeu de massacre, qui n’éclate que dans la seconde partie, la vraie tension du film est celle qu’il explore thématiquement, et qui complexifie les différentes forces en présence. Ce film, c’est la rencontre explosive entre ceux qui ont toujours plus soif et ceux qui ont fini desséchés. Entre d’un côté la gratification et l’épanouissement et de l’autre la frustration et la décrépitude.


Au début, on croit que cette tension, assez classiquement, va en quelque sorte opposer le porno que tourne les jeunes et le sermon que regardent les vieux. Que ça va être un film qui va opposer libération et répression, envie et dégoût, décadence et puritanisme, avec des résultats violents. Mais au final, si cette tension est explorée, ce n’est pas tellement en opposant jeunes et vieux, c’est plutôt à travers un personnage jeune, celui de Jenna Ortega, dans une sous-intrigue un peu superflue.


À la place, le film semble savoir qu’il y a quelque chose de plus intéressant à traiter dans le choc des générations : le fait que face au rêve américain, et à son imagerie, existe un même désir, mais pas un même espoir. En effet, il ne s’agit pas de parler de désirs réprimés, mais d’espoirs déçus.


La tension du film naît donc de l'opposition entre jouissance accomplie et désirs frustrés. Ceux-ci émergent alors, comme dans tout bon film d’horreur, dans une exultation sanglante (et c’est vrai que ça peut quand même paraître comme une condamnation des agissements de la jeunesse, d’où les insultes de “putes” et les furieux sermons télévisés, dimension soulignée par le petit twist final, mais ce n’est pas tant du mépris que de la jalousie).


En effet, aux États-Unis, faute d’avoir accès au sexe, on semble se tourner vers la violence. Désir du corps et destruction de ce même corps semblent être des mouvements liés par ce besoin d'agir, d'accomplir. On pourrait conclure que cette violence est le symptôme d’une culture obsédée par le temps qui passe et la dichotomie entre les âges, par l’idée que tout se joue l'espace d'un instant, qu’après c’est trop tard. La gratification devient alors une obsession, et invariablement, ces violents désirs ont des fins violentes (pour varier autour de Shakespeare).


Le fait que le temps soit la seule chose qui sépare ceux qui rêvent encore et ceux que le rêve a abandonné est illustré par l’un des choix forts du film : faire jouer la protagoniste et l'antagoniste par la même actrice. Celle-ci incarne donc le même corps à des pans opposés de l’existence, ce sur quoi joue la mise en scène lors des séquences réunissant les deux personnages.


Toujours à propos de la réflexion générale sur le sexe et la violence, un autre élément au cœur du film, moins de sa diégèse que de son dispositif, c’est bien sûr l’exploitation des femmes. C’est un thème évidemment profondément ancré dans les deux genres que X explore en profondeur, le slasher et le porno, genres voyeuristes s’il en est.


Ici, parmi ceux qui tournent un porno afin de vivre la vie dont ils rêvent, les trois hommes meurent avant les trois femmes, et une final girl émerge clairement.


Question donc : dans le porno, a-t-on affaire à des femmes objectifiées où à des femmes qui utilisent leur corps pour s’émanciper (“Tu es un putain de sex-symbol” se dit l’héroïne dans la scène d’introduction) ? Et dans le slasher, qui sont les “pires” victimes, les personnes assassinées ou les personnes terrifiées ? Toute l'ambivalence de ces genres et de leur rapport avec, eh bien, les genres, est fidèlement restituée dans le film. Ça pourra donner des pistes de réflexion à ceux qui s’y connaissent mieux que moi en gender-studies. En tout cas, le film donne un coup de pied spectaculaire au cliché de l’héroïne virginale dans le slasher, en en faisant une strip-teaseuse/actrice porno.


Pour conclure, OK, c’est un nouveau (énième ?) slasher mais pour le coup, il vaut le coup. C’est un bel héritier qui s’inscrit dans une longue tradition et qui, ce faisant, montre que l’”elevated-horror” n’est pas devenue la seule voie pour le genre. C’est un pur slasher/survival avec des choses à l’esprit et du style à revendre, et c’est rare.

ClémentLepape
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le 20 avr. 2022

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