Winter Break
7.3
Winter Break

Film de Alexander Payne (2023)

Et si on commençait par rendre justice à ce film ?

Et si on commençait déjà par lui restituer son véritable titre ? Holdovers.

D’une part, ça nous permettra d’occulter cette connerie sans nom qui consiste à localiser un film en France en remplaçant son titre anglais par un autre titre en anglais (et j’ai beau savoir qu’il ne s’agit pas là d’une nouveauté que, pour ma part, je pense que je ne m’y ferai jamais). Et puis d’autre part, ça va aussi nous permettre de nous recentrer sur ce que ce dernier film d’Alexander Payne entend aborder et qui – non – ne peut se réduire à ce titre aussi débilement trompeur que sa bande-annonce : Winter Break.

Holdovers, qu’est-ce que c’est ? Comment le traduire?

Littéralement c’est « ce qui reste ». Les vestiges. Or c’est bien de cela dont il est question dans ce huitième long-métrage de l’auteur. Sitôt le film lancé que tout nous envoie dans l’effervescence d’un monde en pleine mutation.

1970, ses lettrines agressives, sa conquête lunaire et cette jeunesse qui bouillonne de désir de vivre. C’est d’ailleurs auprès de ceux qui ont incarné cet esprit seventies que l’intro nous plonge. Ils sont de jeunes lycéens pleins d’hormones et d’envies. Ils ne parlent que de filles, de clopes et de porno. Ils n’attendent qu’une seule chose : quitter le cadre rigide de leur pensionnat d’un autre âge pour aller se payer des vacances unga bunga aux frais de cette génération de parents qui s’est mise si bien lors des trente glorieuses.

Seulement voilà, si les années 70 ça a été aussi ça, Payne lui va décider dans ce film-ci de porter son regard sur ceux qui étaient aussi constitutifs de cette époque-là.

Les représentants du monde ancien. Ceux que la nouvelle vague débridée a laissé derrière elle.

Les vestiges.


Alors certes, sitôt parle-t-on de vestiges que, mécaniquement, notre regard se porte sur ce personnage totalement hors du temps qu’est Paul Hunham. Professeur semblant tout droit surgir du siècle dernier, il ne sait penser et parler qu’au travers de ses classiques, cherchant à imposer une discipline spartiate à des élèves qui ne savent manifestement même pas placer Sparte ni dans l’espace ni dans le temps (et qui, par ailleurs, semblent royalement s’en foutre.)

L’opposition entre ces deux mondes est tellement exacerbée d’entrée qu’on serait d’ailleurs en droit de croire dans un premier temps que cet Holdovers s’apprête à nous rejouer les Poètes disparus de Peter Weir sous une déclinaison davantage comique et potache, tant les postures sont exacerbées.

Et pourtant…


Et pourtant, couche après couche, Payne parvient, par un jeu habile, à retirer un à un tous ces éléments si caractéristiques des années 70 pour n’en retenir que ce qui l’intéresse.

Exit les vacances avec les parents friqués. Exit les potes avec lesquels se délurer. Ne reste que le prof acerbe, le jeune rebelle à la coupe hirsute et les deux domestiques à peine entraperçus jusqu’alors. Et soudain un nouveau portrait émerge. Plus inattendu. Plus singulier. Mais aussi plus touchant.

On y retrouve un professeur dont on aurait sûrement loué la rigueur s’il avait exercé quelques décennies plus tôt mais qui, dans ce monde-ci, n’est plus qu’un oublié de l’Histoire ; un vestige encombrant dont on sait plus où le remiser.

On y retrouve aussi une femme dont le deuil apparaitrait presque anachronique au regard des considérations de l’époque. Le temps est aux vacances, aux célébrations et aux chansons qui bougent dans les soirées de réveillon, pas aux ballades mélancoliques et aux considérations tragiques d’une guerre que tout ce monde en ébullition cherche à oublier.

Et puis surtout on y retrouve enfin le parcours d’un jeune homme qui, en fin de compte est le laissé-pour-compte de ce grand élan émancipateur. A une époque où les femmes se libèrent de leurs vieux carcans en divorçant, se remariant et en faisant valoir leur droit à jouir de la vie, certains se retrouvent délaissés sur l’autel de ces nouvelles libertés.


De là, il pourrait certes être tentant de voir dans ce Noël de délaissés une fable un brin réactionnaire faite en l’honneur des bonnes vieilles valeurs et du bon vieux monde, ce qui ne serait pas totalement impertinent, de cela j’en conviens.

Néanmoins, je pense qu’il serait tristement réducteur que de ne voir dans cet Holdovers que ça, tant il parvient à dépasser la seule posture nostalgique.

Car plus qu’un monde qu’il privilégierait à un autre, Payne semble davantage regretter le fait qu’un monde doive forcément en chasser un autre. Car des Grecs de l’époque classique aux Américains de l’époque contemporaine, il rappelle qu’il existe toute une série de ponts et de liens, passant de la joyeuse culbute jusqu’aux leçons de sagesse adressés aux Icare d’hier et de demain.

Difficile d’ailleurs de ne pas voir cet état d’esprit-là dans cette forme classique certes, mais maitrisée de toute part et débarrassée de toute fioriture académique.

Difficile également de ne pas le percevoir au travers de ce choix de Paul Giamatti, pour incarner le rôle principal, impérial acteur qui n’a sûrement jamais eu la carrière et la reconnaissance qu’il mérite pourtant.


Alors certes, ce Holdovers pourra apparaitre aux yeux de beaucoup comme du cinéma à l’ancienne, daté et manquant d’approche d’actualité, mais pour ma part c’est justement dans cet aspect-là qu’il trouve toute sa fraicheur et sa pertinence.

A une époque où un cinéma appelle à en balayer un autre, quitte à s’en détacher ses ailes de cire, il n’est pas désagréable de retrouver des auteurs qui, comme Alexander Payne, savent rappeler aux forces du classiques, et aux vertus de dresser des ponts entre les générations comme entre les laissés-pour-compte.

Et si la fin de cet Holdovers se révèle en définitive pleine d’espoir et d’avenir, j’ose espérer qu’il pourrait en être de même pour tout un septième art encore en devenir…

lhomme-grenouille
8

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le 21 déc. 2023

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