Lorsque deux silhouettes à cheval filmées dans un superbe noir et blanc parcourent un terrain en relief lors d'un générique introductif dépourvu d'une chanson salvatrice, il apparaît comme une évidence que le premier film du cycle Mann/Stewart appartient encore à la décennie précédente. De ces génériques qui afficheront en lettres ostentatoires la star du film jusqu'au format vanté pour ses vertus de confort visuel (nous sommes dans les années 50 et la télé envahit les foyers), Winchester 73 n'en a pas encore les codes, ni la charte graphique. Pour les plus sensibles au genre, les années quarante confrontaient le garçon de vaches aux mouvements sociaux et territoriaux de son époque avec plus ou moins d'authenticité pour le plaisir du spectateur. Derrière les images black & White de Ford et Hawks, l'histoire s'attardait sur les migrations du vieux continent inondant l'immensité du territoire de L'Oncle Sam. Les figures politiques devenaient héroïques sans discours polémiques (Lincoln et sa prétendue soif de pouvoir au nom de la liberté de chacun) et l'Armée déclarait sa flamme à la famille dans une atmosphère délicieusement réactionnaire. Plus tard, les pionniers et les grands mythes de L'Amérique continueront de vivre au travers des récits mais c'est un western d'une ampleur inédite qui prendra place durant les dix prochaines années. Wayne, Douglas, Cooper, Lancaster ou Stewart charrient toute cette mythologie du vieil ouest dans des productions désormais teintées de sublimes couleurs saturées. C'est la phase terminale d'un cinéma classique poussé dans ses retranchements dans sa lutte acharnée contre la petite lucarne. Plus accessible, plus spectaculaire et surtout plus séduisant, l'histoire et les experts en retiendront plus volontiers les standards de cette période que ceux de la décennie passée. Pourtant, La Prisonnière du désert et Rio Bravo sont-ils qualitativement meilleurs que Duel au Soleil ou La Charge Fantastique de Raoul Walsh ? La perception de chacun sera seule juge de cette comparaison hâtive. Il est vrai que la compétition du meilleur western a toujours excité les adorateurs du genre que nous sommes...


Durant le visionnage, le flux émotionnel qui parcourt une partie du corps à mi-chemin entre le cœur et la raison est le seul stimulus reliant la réussite artistique du cinéaste au plaisir du spectateur. N'y allons pas par quatre Chemins, Winchester 73 est l'un des plus grands films de l'histoire du western et peut être même du cinéma tout court. Si le panel de journalistes continue depuis une cinquantaine d'années de tresser des louanges au Vertigo d'Hitchcock pour sa romance morbide et spectrale ou au Citizen Kane de Welles pour sa modernité narrative et visuelle, Winchester 73 parachève la grande idée de l'union du Cinéma populaire au Cinéma ludique et réflexif au sein d'un grand film de Studio. On conviendra que le premier volet du corpus Mann/Stewart n'est pas le seul dans ce cas présent et que la Major à la Planète bleue a déjà enfanté d'autres Chefs d'oeuvres. Mais dans cette mesure, existe-t-il plus belle, plus noble machine à spectacle capable d'effectuer une bouture cinématographique entre le rythme assumée d'une série B et le récit Biblique sur fond de fratricide ? N'ayons pas peur des mots, ce qui frappe lors du premier visionnage de Winchester 73, c'est son tempérament vif hérité de la branche du Western B. Et pour faire le lien entre le film d'Anthony Mann et les productions plus modestes de la Universal qui feront le bonheur des premières parties de soirée (au hazard L'Étoile brisée), c'est le scénariste Borden Chase, as de la plume et du rythme sans temps mort qui en signera les scenarii. Chase a cette capacité de nouer des liens extrêmement forts entre l'histoire des pionniers tout en y intégrant des personnages de fiction. En témoigne La Rivière rouge de Howard Hawks avec ses bovins traversant un état alors que se déchire un père et son fils. D'une certaine manière Winchester 73 poursuivra cette idée de scission familiale avec cette opposition fraternelle entre le personnage interprété par James Stewart et celui campé par Stephen McNally. Difficile de ne pas y voir un morceau du livre de la Genèse avec les rivaux Abel et Caïn. Le film débute d'ailleurs avec un duel à la carabine et se terminera de la même manière afin qu'il en ressorte une certaine idée du bien et du mal au coeur d'un récit mythologique. Les frères rivaux ont souvent traversé les civilisations et le fait qu'ils viennent nourrir le genre le plus noble, ne fait que renforcer ses thématiques sur le pouvoir et la violence.


Cependant, le petit monde de Winchester 73 n'est qu'un microcosme de cowboys que l'on suit avec délectation mais qui ne fait que graviter autour d'un noyau dur. Le film de Mann explore son histoire en confrontant ses personnages de fiction aux légendes de L'Ouest. La porte d'entrée s'effectue à Dodge City où l'on retrouve le personnage de Wyatt Earp interprété par Will Geer. Plus Maître de cérémonie qu'homme d'action, le Marshall permet d'installer le film dans une temporalité, certes baignée de fiction, mais sous couvert d'une pointe d'authenticité. Non loin de là, il est mentionné que Le Général Custer écope de sa première défaite sur le terrain face aux Indiens. Historiquement bien amené, Winchester 73 se détache du western classique. Un socle qui permet d'installer le spectateur en terrain connu sans être trop explicite.


L'accroche réaliste et la fraternité mise à mal étayent la thématique centrale du film sur la fascination des armes. Le western a une vocation de divertir mais aussi de recréer une toile de fond avec un système de loi en construction. L'Amérique qui est dépeinte est celle du désarmement des étrangers dans les grandes villes et de l'acquisition des territoires indiens par la force. Il y a forcément un non sens dans le souhait d'instaurer la paix en milieu urbain et l'ordre du gouvernement de tuer le véritable propriétaire de ces terres. Winchester 73 est une allégorie de ce chaos et sa note d'intention n'est jamais de mettre en exergue sa figure de star interprété par James Stewart. Le véritable symbole du métrage de Mann est celle de la fameuse carabine, objet de toutes les convoitises. Film Choral jouant sur des gammes de jeu variées, le premier opus du cycle dépasse l'exercice de style afin de fournir l'essence d'un classique inaltérable qui s'étoffe à chaque vision. Un film autant à l'aise dans sa démonstration de force et de spectacle pur qu'un portrait finement ciselé du nouveau monde en proie aux vices et aux doutes.

Star-Lord09
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le 4 sept. 2021

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