On ne peut faire de lecture correcte du premier film de Scorsese, sans prendre en compte l’histoire rocambolesque de son tournage.


Résumons : en 1965, le jeune Martin Scorsese, fraîchement sorti de l’université se lance dans le tournage de son premier long-métrage, Bring on the Dancing Girl avec une équipe réduite, un budget de 30 000 dollars et un jeune acteur inconnu : Harvey Keitel. Déçu par l’amateurisme général qui se dégage de la vision du film, Haig Mannoogian, professeur de Scorsese, l’encourage à retourner le film. Ainsi se lance-t-il dans un second tournage de 16 mm avec une nouvelle actrice au casting, Zina Bethune. Présenté au festival de New-York sous le nouveau nom de I call first, le film ne trouve pas de distributeur, laissant le jeune cinéaste passablement déprimé. C’est alors que Joseph Brenner, producteur de films érotiques propose de sortir le film en l’échange de l’inclusion d’une scène de sexe. D’où l’existence de la scène de sexe entre Keitel et l’actrice godardienne Anne Colette, sous fond de Doors sans rapport direct avec le reste du film.


Résultat de tout ce périple : un film profondément décousu et maniériste, tantôt en 35 mm, tantôt en 16, bourré de faux raccords et de ruptures narratives… Et le tout fonctionne plutôt bien.


Filmé dans le plus pur style du cinéma direct tel que conçu par Godard ou Cassavetes, Who’s that knocking at my door transpire l’esprit des années 60 finissantes, émaillées qui plus est de chansons emblématiques de l’époque (The End de The Doors, El Watusi de Ray Baretto, Jenny Take a ride de Mitch Ryder, etc) dans des séquences clipesques qui seront une future marque de fabrique scorcesienne.


Tourné directement dans le quartier du réalisateur et même dans sa propre maison (la scène d’amour entre Keitel et Bethune sur le lit de sa mère !), le film assume totalement sa nature autobiographique laissant paraître les thèmes et problématiques qui accompagneront le cinéaste durant toute sa carrière : la culpabilité chrétienne (sculptures du christ et de la vierge omniprésentes), le poids de la communauté et l’incapacité de s’en extirper. Il faut voir comment une simple musique concrète sur la scène d’intro où une mama typiquement italienne (la propre mère de Scorsese soit disant passant) confectionne une pizza avant de la servir à ses enfants rend oppressante une scène de nature chaleureuse et conviviale.


Dans ce qui semble être le brouillon du futur Mean Streets qui fera sa renommée, Scorsese fait une peinture pathétique de ces jeunes Vitelloni à l’américaine, qu’il présente comme de grands enfants jouant les caïds, rivalisant de démonstrations viriles mais complètement désorienté sitôt sortis de leurs milieux (la scène en forêt et la peur bleue des serpents du grand Joey).


Ce portrait de la jeunesse italo-américaine tiraillée entre modernité et tradition s’incarne surtout ici dans la perception que JR (Harvey Keitel) se fait des femmes, ne pouvant les voir autrement que comme madone ou putain. L’impossibilité de JR à considérer qu’une femme n’est pas responsable de son viol est bien entendu le point d’orgue de ce questionnement sur l’emprise millénaire que fait peser la communauté et ses codes sur les individus et leurs modes de pensée. Sous l’œil de Scorsese la communauté devient une cage dorée, aussi réconfortante qu’aliénante.


Malgré tous ses défauts techniques et l’ombre trop pesante des aînés, Who’s knocking at my door reste un morceau d’époque frais et pimpant dont les interrogations continuent d’être persistante aujourd’hui.


C’est surtout le germe d’une graine importante du cinéma mondiale qui devra éclore quelques années plus tard : Martin Scorsese.

kingubu88
7
Écrit par

Créée

le 20 févr. 2020

Critique lue 128 fois

kingubu88

Écrit par

Critique lue 128 fois

D'autres avis sur Who's That Knocking at My Door ?

Who's That Knocking at My Door ?
Clode
7

Une jeunesse à New-York

Who's that knocking at my door ? a de cela remarquable qu'il ne commence jamais vraiment, et qu'il ne se termine pas tellement non plus. Vous me ferez remarquer qu'il doit bien nécessairement...

le 11 nov. 2015

24 j'aime

1

Who's That Knocking at My Door ?
Antofisherb
8

Mine triste

J’ai toujours pensé que Mean Streets était le premier coup de maître de Scorsese, son premier film-phare réunissant les thématiques au centre de son cinéma : la famille, la délinquance, la religion,...

le 3 nov. 2015

15 j'aime

6

Who's That Knocking at My Door ?
busterlewis
7

Critique de Who's That Knocking at My Door ? par busterlewis

Première réalisation de Martin Scorsese, Who's that knocking at my door s'est monté difficilement. Peu de moyen, pas de renommée pour Martin Scorsese qui doit batailler pour trouver des financements,...

le 1 mars 2012

11 j'aime

1

Du même critique

Cleopatra
kingubu88
7

Délire mélancolique

Poursuite de notre exploration de l’univers des Animerama avec ce 2e opus, Cléopatra (ou plutôt Kureopatora), à la fois plus déjanté et plus mélancolique que son prédécesseur Mille et une Nuits. Le...

le 16 juin 2019

2 j'aime

Les Nibelungen
kingubu88
8

Winter is coming

Bien avant le Seigneur des Anneaux, longtemps avant Game of Thrones, il est fascinant de constater à quel point tout le cinéma de fantasy contemporain semblait déjà résider dans cette œuvre monstre...

le 16 juin 2019

2 j'aime

Le Quattro Volte
kingubu88
8

Il était une fois...la vie

La scène-clé du Quattro Volte est sans doute ce plan-séquence intervenant vers le premier tiers du film. Dans cette scène, alors que la population du petit village calabrais participe à une cérémonie...

le 20 févr. 2020

1 j'aime