Je suis navrée, navrée cher Gregg, de devoir te dire que je ne comprends pas. Non, toi qui m'avais envoûtée avec Kaboom, fascinée avec Nowhere, captivée avec The Doom Generation, impressionnée avec Mysterious Skin... Là... Tu m'as simplement déçue.
Aussi je ne comprends absolument pas les éloges dithyrambiques envers ton film, qui est plus que médiocre au vu de ta production habituelle. Essayons d'être concise : tu te plagies toi-même en atténuant et caricaturant ce qui fait tout ton charme. C'est bien simple :
L'histoire est d'un basique terrifiant, on voit les ficelles, les rebondissements, le suspense à trois kilomètres. Originalité ? Subtilité ? Ah bon ? Et vas-y que je te montre de la neige pour faire de jolies métaphores lourdingues et réfrigérantes, et vas-y que je te fais une esthétique verte et blanche dégueu, pas ironico-kitsch assumée comme dans Kaboom mais comme quelqu'un qui a un peu trop forcé sur photoshop, et vas-y que je te ressors la même musique que dans Kaboom mais de façon diluée pour essayer d'être discret (n'essayez pas de m'avoir sur Kaboom, c'est un de mes films préférés - ma rancoeur est d'autant plus grande) , et vas-y que je te montre avec insistance ce putain de congélateur, wow, et enfin quand il semble y avoir quelque chose d'inattendu, ah en fait ce n'est pas ce qu'on attendait, youp.... ah non, c'était bien ça en fait, ce n'est pas seulement absolument pas crédible, mais en plus c'est bateau et ridicule. Et hop le twist final : hahahaha. Okay, ça m'a fait rire. Mais c'est d'une pauvreté absolue, on sent le réalisateur en manque d'inspiration qui voulait à tout prix surprendre le spectateur. C'est la seule chose qui surprend effectivement, mais à quel prix... C'est n'importe quoi, mais ce n'est pas VOULU. Le film se veut sérieux, et ne réussit qu'à être maigre.
Ne parlons pas des personnages caricaturaux et fades, que ce soit l'héroïne Kat, aussi expressive qu'une huître (pourquoi cet engouement pour l'actrice, sérieusement ?) - j'exagère, elle ne joue pas fondamentalement mal, mais rien d'exceptionnel... - ou ses amis pires qu'inintéressants (le pote gay grande folle frustré aux cheveux javellisés, la pote obèse frustrée en chaleur qui boit du soda... Affligeant...), ou encore le père (qui est peut-être finalement le seul qui a une certaine profondeur)... Quant au personnage censé être le plus marquant, la mère, incarnée par Eva Green, je ne sais que dire. Eva Green joue bien, il y a des aspects intéressants mais j'ai tendance à penser que c'est sous-exploité, à la fois psychologiquement et dans l'apparence mystérieuse, inaccessible, inhumaine recherchée. Tant d'artifices et de démonstrations de folie douce et de violente dépression pour expliquer cela par... l'ennui ?! C'est tout, on ne cherche pas à voir plus loin ? Le personnage me semble survolé. C'est dommage, il y avait du potentiel. Je salue la performance honorable d'Eva Green (et la beauté glaçante de son rire hystérique), mais je persiste dans ma circonspection, c'est un peu léger tout ça...
S'il fallait résumer en un seul mot : facilité. Le procédé est grossier, même le côté froid adolescent de Kat n'est pas assez creusé pour être intéressant. C'est bien pensé, l'idée de faire une jeune femme un peu détachée des événements, résignée mais sans tristesse réelle... Mais c'est toujours survolé, finalement, même si elle se réveille sur la fin.
Et en parlant de fin, qu'est-ce que c'est que cette résolution bâclée ? Tout ça pour ça ? Et ce gros plan niais sur le visage de Kat dans son avion ? Mais qu'est-ce que c'est que ce film, une romance pour pré-pubères ? "Mais non tu n'as rien compris c'est l'histoire du drame refoulé d'une jeune femme qui perd sa mère dans des circonstances mystérieuses et qui travaille à continuer à vivre et à comprendre par touches impressionnistes le délabrement plus ou moins subit de sa jeunesse." Laissez-moi rire.
Même le côté "enfance douloureuse" n'a aucune substance, tout juste une préoccupante étrangeté dans le rapport mère-fille mais... sans que ce soit résolu, comme je le disais au-dessus, par autre chose que l'analyse fade et stupide de "l'ennui" maternel (il y a bien une histoire de jalousie mais enfin c'est grossier, on dirait du Blanche-Neige... D'ailleurs je suppose que ça se veut un peu inspiré de Blanche-Neige...). Et tiens comme c'est bizarre ! Kat ne se souvient qu'à rebours de toutes les choses alarmantes et incompréhensibles qui se sont produites peu avant la disparition de sa mère ! Faudrait savoir : traumatisée ou pas ? Soyons cohérents, soit elle est traumatisée et c'est normal, mais elle n'a pas l'air du tout traumatisée - soit elle n'est pas traumatisée et POURQUOI nom de Dieu ne se remémore-t-elle les éléments capitaux de l'histoire qu'au fur et à mesure du film ?... Ah ben tiens, pour donner une trame au film, sans quoi il n'y a que du vide. Quand je parle de grossièreté... Ce n'est même pas une épopée de la prise de conscience intime d'un drame familial, non, c'est une dissémination superficielle d'indices sur le temps du film.
La seule chose peut-être un peu intéressante est que de bout en bout, la mère garde son irréductible étrangeté, bien que sa fille tente de la diluer, ce qui est irritant au possible. On n'aura pas résolu le problème de l'amour filial, et on se surprend à imaginer d'autres maux, au-delà de la déception d'un mariage sinon forcé, au moins contraint. "Nan mais t'as rien compris c'est une dénonciation féministe du rôle des femmes au foyer dans la société du XXe siècle." Je ne nie pas qu'il y a de ça, mais à vouloir mélanger "enquête policière", apprentissage, et critique féministe, sur le mode du sérieux, on ne s'y retrouve plus et cela aussi est bâclé. C'est facile de dire que, parce que trois ou quatre répliques disent qu'elle s'ennuie (au cas où on n'aurait toujours pas compris), et parce qu'elle dit une fois quelque chose comme "Je prépare tous les jours ton putain de dîner et c'est la seule chose que j'ai à faire de ma vie" (je n'ai pas la citation exacte et en anglais en tête), on assiste à une dénonciation féministe. Ben tiens, moi aussi je peux le faire, cela fait-il de moi une féministe acharnée qui fait bouger les mentalités ? Nullement. Cela a été dit, redit, reredit, pas besoin de White Bird pour ça. Ou alors il eût fallu mettre précisément en rapport les divers éléments qui composent le film pour créer une architecture causale et mystérieuse qui eût été plus complexe et subtile.

Je ne retire pas au film son côté distrayant : on ne s'ennuie pas vraiment, c'est déjà ça. Ce qui me fait dire que ça ressemble tout de même, étrangement, à un film d'ados en rut avec une tentative d'intrication de substance onirico-dramatique ratée à l'intérieur... Araki, à mon sens, s'est dit la chose suivante : "Vas-y on va faire un truc sérieux pour contrebalancer Kaboom, on va prendre Eva Green parce qu'elle fait bien la méchante et Shailene Chose parce qu'elle est kawaï et que ça va attirer le peuple, et puis on va mixer ça avec des trucs que j'aime bien, ouais vas-y balance la lumière saturée, la musique discrètement angoissante, nooon mais t'inquiète pas les gens sont cons ils vont pas capter que je réutilise les ficelles de mes précédents films mais sans me fouler, que je mélange tout dans une boîte et que ça fait un truc potable, ben ouais on va pas se faire chier pour eux hein. Balance la neige je te diiiis, ça vaaaa, mais ouiiii on refait le couloir blanc de Kabooom et les rêves chelouuuus, c'est boooon. Et puis j'aimerais bien me faire de la thune quoi. Les gens veulent me prendre pour un mec sérieux, j'vais leur montrer que je suis intelligent hihihihi. Et le pire, c'est qu'ils vont me kiffer. C'est bien d'être cinéaste."
Gregg, j'attends ton prochain film pour savoir si je te répudie définitivement. Steuplaît, ne me prends plus jamais pour une conne.
Eggdoll
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le 17 oct. 2014

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le 17 oct. 2014

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