Nous rencontrons des problèmes techniques sur la partie musique du site. Nous faisons de notre possible pour corriger le souci au plus vite.

Mon dieu que le cinéma de Kelly Reichardt fait du bien. J’avais déjà adoré la délicatesse de First Cow, son calme et son attention aiguë accordée aux sens des personnages (toucher, ouïe, odorat). Wendy and Lucy est assez similaire dans son ton mais est moins sensible à l’environnement de ses personnages.

Wendy veut aller en Alaska refaire sa vie avec sa chienne Lucy, mais sa voiture tombe en panne dans une petite ville de l’Oregon. L’occasion pour Reichardt de faire un double portrait tout en finesse : celui d’une jeune femme réservée et taciturne, qui a du mal avec ses congénères et celui d’une petit ville en déclin qui restera innommée, où règnent le chômage, la pauvreté et l’ennui.

On comprend très vite que l’enjeu n’est pas le but de Wendy, qu’elle n’arrivera pas en Alaska. Sans scénario ordonné, sans fil narratif structuré, Reichardt filme les mésaventures nombreuses de cette vie précaire qu’a choisie Wendy. Et elle le fait sans aucun misérabilisme, sans pathos forcé.

 Reichardt a en fait une capacité formidable à dire beaucoup avec très peu, en comptant sur l’intelligence et l’imagination du spectateur. Je pense à cette scène où un gardien de parking bienveillant tend quelques billets à Wendy en lui disant que sa fille ne doit pas le savoir. On a ensuite un plan court sur le visage, visiblement tendu, de ladite fille qui attend dans la voiture. Et là, on comprend et on imagine tout de la vie du gardien : un divorce difficile, des relations houleuses avec sa fille, une pauvreté certaine (il donne quelques dollars seulement). On est touché par sa gentillesse désintéressée, on est plein d’empathie à son égard alors qu’on ne sait quasiment rien sur lui et qu’on l’a vu cinq minutes en tout et pour tout.

Puisque Wendy est réservée, tout en retenue, c’est au gré de ses rencontres avec les habitants de la ville que l’on ressent des émotions contrastées. Colère contre cet employé de magasin dénonciateur, frustration face au garagiste indolent aux tarifs immoraux, sympathie à l’égard du gardien se réjouissant après que Lucy ait été retrouvée.

 Reichardt prend soigneusement son temps pour donner une consistance à ces interactions et à ses personnages, qui n’ont pas simplement pour fonction d’éclairer Wendy. Il y a par exemple cette séquence, en plan large, où le délateur Andy quitte son travail, range des cartons, met sa veste et rejoint sa mère qui l’attend dans une voiture. Ici encore, on comprend tout de la vie d’Andy avec très peu.

Les travellings sont nombreux, certaines séquences sont étirées pour nous faire ressentir en profondeur la précarité de Wendy. Aussi, quand elle cherche en vain Lucy dans un refuge, là où un autre film aurait écourté la chose en montrant Wendy entrer, essuyer un échec et ressortir aussitôt, Reichardt nous propose un long travelling en largeur présentant toutes les cages de chiens puis symétriquement, le visage de Wendy les scrutant.

Cette attention portée aux habitants et aux gestes produit un climat calme, doux, renforcé de surcroit par la teinte automnale du film. Aucune effusion maladroite de pathos ne parasite l’ensemble. Quand Wendy retrouve enfin sa chienne, la dégradation de leur relation nous est signifiée tout en subtilité par une Lucy de dos, récalcitrante quand il faut rendre le bâton avec lequel elle aime pourtant jouer.

Bref, Kelly Reichardt prend son temps pour nous offrir une oeuvre d’une grande tendresse, disant beaucoup avec très peu. Les personnages sont filmés à hauteur d’homme, jamais méprisés, touchant de simplicité. Sans pathos malvenu, on ressent un florilège d’émotions différentes. Un double portrait très réussi. 8/10

FritesLongues
8
Écrit par

Créée

le 5 janv. 2023

Critique lue 16 fois

FritesLongues

Écrit par

Critique lue 16 fois

D'autres avis sur Wendy et Lucy

Wendy et Lucy
JanosValuska
8

Voyage interrompu.

C’est un road-movie pas comme les autres, puisque géostationnaire. Ce qui ne l’empêche pas d’être toujours en mouvement, de traverser des rues, des routes, des forêts, des voies ferrées ; D’entrer...

le 29 avr. 2016

10 j'aime

2

Wendy et Lucy
Skipper-Mike
9

Far from the wild

C’est juste l’histoire d’une femme qui perd sa chienne, et c’est pourtant le film le plus pesant au monde. Le registre ultra-minimaliste n’y est pas pour rien, avec des décors sobres (les quartiers...

le 18 janv. 2019

7 j'aime

Wendy et Lucy
ThyBz
6

à la Dardenne en moins bien !

En fait j'hésite entre 5 et 6 : Les plus : 1- Une actrice remarquable pour un rôle à la Dardenne; Wendy est très attachante, par sa maturité, son indépendance, son sérieux, son aplomb, sa capacité de...

le 11 janv. 2015

3 j'aime

Du même critique

Zodiac
FritesLongues
5

Que veux tu dire David ?

Fincher nous propose avec Zodiac un film d'enquête policière dans lequel on suit d'abord trois personnages cherchant tous l'identité du tueur différemment mais alors que l'enquête s'enlise dans le...

le 25 déc. 2022

1 j'aime

Fièvre méditerranéenne
FritesLongues
6

Dépression palestinienne

Fièvre Méditerranéenne ambitionne de représenter le désespoir du peuple palestinien à travers le personnage de Walid. En dépression profonde, incapable d’écrire quoique ce soit et politiquement...

le 5 janv. 2023

1 j'aime

Ravel
FritesLongues
8

L’organisme vivant nommé Ravel

Une biographique classique du compositeur français Maurice Ravel, qu’est ce qu’elle en ferait ? Elle chercherait à expliquer l’origine du génie par une étude minutieuse et détaillée de sa vie. Il...

le 5 sept. 2023