Fièvre Méditerranéenne ambitionne de représenter le désespoir du peuple palestinien à travers le personnage de Walid. En dépression profonde, incapable d’écrire quoique ce soit et politiquement impuissant, Walid passe ses journées seul dans son appartement. Mais il se lie d’amitié avec Jalal, un autre homme au foyer de son immeuble.

Le film est déjà intéressant pour l’originalité de cette proposition : filmer des hommes enfermés dans des espaces domestiques. Alors que leurs femmes travaillent et sont montrées souvent en extérieur, Jalal et Walid sont plus oisifs, s’occupent des tâches ménagères et sortent remplir d’autres fonctions à l’extérieur bien plus ponctuellement. Et ça se fait sans misérabilisme. Il est pas du tout question de montrer que ces hommes sont pathétiques, fragiles ou je ne sais quoi. Non, ce sont des hommes au foyer et c’est normal comme ça. 

Walid est par ailleurs très bien écrit, crédible et touchant. Il est toujours cynique, vif d’esprit et critique tout ce qui lui déplait avec conviction. Il essaie d’écrire mais n’y arrive pas, cherche à se suicider mais n’y parvient pas non plus. Walid est en fait une allégorie du peuple palestien. Il est enfermé, conscient politiquement (Walid mobilise à plusieurs reprises des références de la culture arabe classique pour en faire une identité politique contre Israel) mais aussi impuissant. 

L’humour noir de Walid, son trait de caractère principal, devient ici une arme politique pour dénoncer l’occupation israélienne. Le film adopte plus généralement un ton tragi-comique qui n’est pas sans ambiguïtés. Que penser par exemple des rires des spectateurs dans la salle quand Walid fait une blague cynique sur son envie de se tuer ? Fièvre méditerranéenne propose en tous cas une vraie réflexion sur les effets politiques de l’humour chez un peuple occupé.

Dommage que cette écriture touchante et l’idée du film soient complètement desservies par une mise en scène d’une grande pauvreté. Une amie me disait qu’elle avait parfois l’impression de voir Plus belle la vie et c’est incroyablement pertinent. Dès que Walid s’agite dans son immeuble, interagit avec ses voisins ou sort en ville, il n’y a aucun effort formel et toutes ces scènes sont donc fades. Excepté un moment où Walid étouffe dans un car wash, la mise en scène et les choix de plan sont rarement signifiant, ils ne semblent pas avoir été mobilisés pour dire quelque chose.

Dommage également que la relation Walid-Jalal se construise de façon aussi artificielle. Les deux bougres n’ont à priori rien en commun : l’un est réservé, cultivé et lutte (mentalement) contre l’occupant, l’autre met de la musique à fond, fait des blagues en permanence et déclare n’en avoir rien à foutre des questions israélo-palestiniennes. Comment les rapprocher alors ? Eh bien magiquement, on découvre qu’en fait Jalal connaît la culture arabe classique, puisqu’il a nommé ses chiens en hommage à deux célèbres poètes arabes. C’est artificiel, rendu nécessaire pour les besoins du scénario et donc pas très crédible. Et puis cette facilité de nous montrer des gens à priori opposés mais finalement similaires, c’est vu et revu. L’originalité ici est dûe au statut de deux hommes, qui sont des pères au foyer.

On a donc un film très intéressant pour les questions politiques qu’il pose (quelle valeur accorder au suicide, tabou absolu dans la culture arabe , dans le cas d’un peuple occupé ? quels sont les effets politiques du rire et du sarcasme ? ) et aussi pour son scénario mettant en scène des pères au foyer dans un pays arabe. La forme manque, la mise en scène est médiocre, la photographie aussi mais la qualité des dialogues et l’écriture subtile de Walid font mouche. 7/10

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le 5 janv. 2023

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