Plusieurs choses intéressantes et stimulantes, dans ce film qui n'est certes pas majeur, mais assurément soigné, en témoignent certaines images particulièrement réussies, baignées de lumières caressantes. La première, c'est le portrait d'une société anglaise intellectuelle qui tente de se défaire des carcans conservateurs et de vivre en dehors de l'hypocrisie habituelle : au lieu de réprimer l'homosexualité, comme continuait de le réclamer une bonne partie de la société (incarnée ici par une Isabella Rosselini corsetée et peu amène), on préférait composer avec elle, tout en tentant de sauver les apparences pour continuer à profiter d'avantages de classe que d'autres utilisaient comme une monnaie d'échange, donc comme un mode de chantage systématique : si tu ne vis pas comme nous, on te coupe les vivres. Il fallait du courage pour s'affranchir des codes, ou de la malice pour retourner leur hypocrisie contre leurs tenants. In fine, c'est également une forme de mensonge, mais il permettait de sauvegarder une organisation sociale profondément inégalitaire qui aurait mis les homos en marge et les aurait plongés dans la misère. Au sein donc de ces petits cercles d'intellectuels libertaires, on pouvait créer, s'amuser et vivre selon son gré. Le film a l'honnêteté de montrer que, dans ces arrangements entre gentlemen, quelqu'un finissait toujours par souffrir. Et c'est l'un des thèmes plutôt intéressants de cette histoire : le désir de possession qui accompagne le sentiment amoureux, dont quasiment personne ne parvient à se défaire, aussi libre-penseur qu'on soit. La fin du film vire quasiment à la parabole sur le renoncement, mais quand il s'accompagne d'une sublimation par la création artistique, il gagne quelques galons non négligeables. Des thèmes fertiles, donc, pour cette histoire qui dépasse du cadre de l'histoire d'amour balisée, sans pour autant en éviter tous les écueils. Par contre, la grande force de ce film, c'est le choix de l'actrice qui incarne Virginia Woolf. Elizabeth Debicki fait là un travail remarquable : elle campe avec un calme olympien cette femme torturée, dont les tourments suintent à toutes les coutures. Pas évident de conjuguer un certain aplomb et une telle fragilité. Des plans fixes sur les visages en pleine face des deux protagonistes, avec le point fait sur le bout de leur nez et donc le reste de leur visage dans une légère brume, pourraient sembler artificiels s'ils ne lui donnaient pas l'occasion de briller par sa simple présence et sa densité. L'inconvénient, c'est qu'elle fait de l'ombre à sa partenaire, mais cela finit par nourrir également l'histoire, qui était celle de leur inégalité, finalement. On peut regretter une fin un peu plate, qui appelle l'un de ces petits panneaux explicatifs dont on sait qu'ils dénoncent à coup sûr une faiblesse de la narration, puisque des choses importantes sont laissées de côté et ne vont pas de soi. Mais, globalement, le film remplit son office, et laisse même quelques souvenirs tenaces, qui sont plutôt bon signe en matière de fiction.

Créée

le 11 nov. 2020

Critique lue 251 fois

1 j'aime

Critique lue 251 fois

1

D'autres avis sur Vita & Virginia

Vita & Virginia
Fêtons_le_cinéma
4

Peurs et fantasmes

Vita & Virginia aimerait faire dialoguer le siècle des deux femmes de lettres avec le nôtre, de la même façon qu’Orlando (Sally Potter, 1992) s’emparait du roman de même nom de Virginia Woolf...

le 6 mars 2021

6 j'aime

Vita & Virginia
HorsebackRevenge
7

Critique de Vita & Virginia par HorsebackRevenge

J'ai failli m'enfuir de la salle en courant quand après seulement 30 petites minutes, je me suis aperçu que les lettres de chacune prenaient bien trop d'importance dans ce qui doit rester du cinéma...

le 11 juil. 2019

5 j'aime

Vita & Virginia
constancepillerault
5

Critique de Vita & Virginia par constancepillerault

Un film à la réalisation élégante (beaux décors, reconstitution impeccable), mais qui peine à convaincre. D'un tel sujet, avec de tels personnages, on attendait de la fougue, de la passion. Ca reste...

le 5 avr. 2021

2 j'aime

Du même critique

Watchmen
ChristineDeschamps
5

Critique de Watchmen par Christine Deschamps

Il va vraiment falloir que je relise le somptueux roman graphique anglais pour aller exhumer à la pince à épiler les références étalées dans ce gloubiboulga pas toujours très digeste, qui recèle...

le 18 déc. 2019

20 j'aime

3

Chernobyl
ChristineDeschamps
9

Critique de Chernobyl par Christine Deschamps

Je ne peux guère prétendre y entendre quoi que ce soit à la fission nucléaire et, comme pas mal de gens, je présume, je suis bien contente d'avoir de l'électricité en quantité tout en étant...

le 9 sept. 2019

13 j'aime

5

La Vérité sur l'affaire Harry Québert
ChristineDeschamps
2

Critique de La Vérité sur l'affaire Harry Québert par Christine Deschamps

Un livre que j'avais vraiment dévoré adapté en minisérie par le maître Jean-Jacques Annaud. Il y avait de quoi être impatiente, même sans avoir vu le moindre teaser indécent de TF1, chaîne dont je...

le 24 déc. 2018

9 j'aime

3