Mi ricordo la mia vita

"Amarcord" ou "Je me souviens"... Les hautes terres du Trentino Alto-Adige sont le berceau de Nanni Moretti. Qui a respiré l'air de ces montagnes jurera que l'esprit libre de notre poète politique vient de là. Un orage survint et me surprit là-haut dans les alpages. Je regagnais sous une pluie drue la vallée et la civilisation. Trempé jusqu'aux os, je m'apprêtais à me réchauffer autour d'un bon plat italien, bien mérité, lorsque l'affiche du film me promit mieux encore : un avenir radieux. Ni une ni deux, j'entrai dans le cinéma du FilmClub Bolzano, celui-là même qui pendant la crise socio-sanitaire fut le seul de toute la Botte à projeter Caro Diario. Trente ans ont passé depuis l'écriture du journal ; le splendido quarantenne a un peu vieilli et troqué sa Vespa contre une trottinette électrique. Pourtant Moretti se souvient qu'il avait rêvé alors de faire un film sur un pâtissier trotskiste dans l'Italie des années 50 - un film musical. Il sol dell'avvenire exauce ce vœu, concrétise la longue attente dans le Circo Massimo et distribue les cornetti. Le film est plein de réminiscences du journal intime : Nanni Moretti s'amuse toujours autant à courir comme un fou après un ballon, il a le rythme dans la peau et une envie irrépressible de danser, même sa détestation des pantoufles ne s'est pas apaisée (bien qu'une dérogation est accordée à Aretha Franklin). Après l'écrivain d'Alicudi assommé par un trop grand succès, c'est maintenant au tour du cinéaste de subir les conséquences de son prestige et d'affronter la pire d'entre elles : susciter l'intérêt de Netflix. Puisque, à Salina comme avec Netflix, il est possible de louer un éléphant pour pimenter une soirée mondaine. [Avis aux amis de Netflix : nous recherchons un volontaire non dépendant pour porter une missive au pape - le contenu de ladite missive devra savamment contrecarrer les thèses de Hans Magnus Enzensberger]. L’incompréhension, elle aussi persistante, de scènes de violence esthétisées dans les films mainstream donne lieu à la scène la plus drôle du film. Giovanni interrompt le tournage hâtif d'une exécution sommaire, ultime scène d'un film produit par sa femme. Le réalisateur tente de persuader Giovanni que la scène constitue une métaphore de la vie... Qu'il faut lire une métaphore de l'amour dans l'acte de tuer. Mais têtu comme on l'aime, Nanni ne se laisse pas convaincre par le brillant plaidoyer du disciple de Shakespeare et cherche à approfondir la question : Che cosa vuole dire? Il fait donc appel à des spécialistes - architecte, mathématicienne ou historienne de l'art - pour composer la scène comme un tableau de la Renaissance. Pronto, Martin Scorsese ? Ce mémorable moment illustre également le délire mégalomaniaque du réalisateur. "Comme un peintre qui voit sous ses doigts | Naître les couleurs du jour." Comme un lion en cage, Nanni Moretti remue ses pensées sans que n'ose le troubler l'équipe de tournage. Si ce n'est une actrice qui se prend pour Gina Rowlands et le confond lui, Nanni, avec John Cassavetes. De l'improvisation ? What the fuck?! Chacun ses méthodes ma petite ! Fellini faisait ainsi, Max Ophüls comme ça... moi je fais mon propre cirque ! Et maintenant, en piste !

Il faut dire encore que le nageur de 70 ans force le respect au jeune poloïste que je suis. Quel(le) geste ! Vraiment, du water-polo au communisme (Palombella rossa), il n'y a qu'un mouvement de brasse : Gramsci est un hérétique mais on ne peut pas brûler pour autant deux millions d’adhérents. Ce qui caractérise un film politique subversif ? Idee, creatività, atmosfera. Et finalement le défilé à dos d'éléphants peinturlurés tant espéré. Tous sont là pour un avenir rouge comme un soleil levant, y compris la mère disparue de Moretti (via son interprète à l'écran). On aurait seulement voulu voir le pape Piccoli joindre la joyeuse troupe de théâtre, mais ce fut impossible pour des raisons techniques. La magie du cinéma peut beaucoup mais doit s'incliner parfois devant la mort, la mort du communisme et la mort de tutti quanti. On dira de ma critique ou du communisme italien ce qu'on voudra, sono solo parole.