Vaurien est la contraction de « valoir » et « rien ». Cette révélation, aussi inattendue soit-elle (ne me remerciez pas!), est à la langue française ce que l’empathie est au spectateur de cinéma, à savoir une évidence. C’est Peter Dourountzis, dont Vaurien est le premier long-métrage, qui le dit : « le propre du spectateur de cinéma, c’est d’avoir de l’empathie, de se mettre à la place des autres. » Dès lors, la question qui se pose est celle de savoir comment attiser la flamme empathique du spectateur pour un vaurien ?


D’abord en caractérisant son personnage avec un souci du détail : Djé arrive en ville sans le sou et sans abri. Manteau vert kaki, bonnet court recouvert d’une capuche, ce personnage rappelle à plusieurs égards Robin Hood. Comme flèches à son arc, en premier lieu, un charme incontestable qu’incarne subtilement Pierre Deladonchamps, ensuite il se trouve que Djé est irrévérencieux, rebelle (qui n’a jamais rêvé de tenter une aventure en train sans billet ?), féministe à certains égards (du moins plus que le patron et l’employé d’un bar qui usent de propos déplacés à l’encontre d’une femme et de ses règles). Djé ne se caractérise pas en tant que tel, ce sont surtout ces connaissances et leurs situations qui lui offrent du crédit : un ami espagnol l’héberge avec sympathie, des Noirs lui ouvrent les portes de leur logement et des marginaux sans le sou, eux aussi, lui proposent de cohabiter dans leur squat. Djé est donc ni malplaisant ni misogyne ni raciste. Au-delà de ça, l’homme est blanc, quarantenaire, séduisant et il a de l’humour. Le profil type du mec charmant. Quoique, le profil type aussi de celui qui est capable de passer au travers des mailles du filet.


Parce que la dangerosité n’est pas imprimée sur le visage de ceux qui agressent, Djé est un parfait caméléon à la double personnalité : tantôt séducteur, tantôt agresseur. Dès la première scène d’ailleurs, le réalisateur met l’empathie du spectateur en défaut : malgré ses beaux yeux bleus, le barbu encapuchonné a toute la lourdeur et la dangerosité de l’agresseur pernicieux. Comme explicité précédemment, Djé est un personnage performatif dont les traits se dessinent au fil de ses rencontres et ce sont donc ces dernières, s’enchaînant, qui rythment le film. Tant l’homme est serein dans cette société, il en écume le moindre lieu, sans vergogne. L’espace public est son terrain de jeu : train, gare, bar, bus, immeuble, appartement bourgeois, squat, quartier résidentiel. Dans cette géographie urbaine, de nuit comme de jour, Djé est un prédateur et, au-delà de marquer les corps et laisser des cicatrices dans les esprits, les marques des actes de ces criminels sont exposés tantôt sur les murs, tantôt sur le bitume : " ici une femme a été battue, tuée, violée, agressée". L’impératif est à la reconquête de l’espace public, que l’agresseur se retrouve dans la peau du persécuté.


D’un côté les dialogues fluides sont plaisants et révèlent un pan de la société, de l’autre les scènes d’agressions sont des décharges d’adrénalines, parfaitement traitées en hors-champ, qui soit dit en passant donne plus de puissance à la violence de l’acte. Pour autant, le film destructuré qui colle à ce quotidien incertain n’offre pas de basculement. Les enjeux sont voilés et d'évolution il n'y a pas. Hormis chez le spectateur qui retiendra d’abord que derrière le visage d’un ange peut se cacher celui d’un agresseur et qu’ensuite, c’est la société, sa misogynie ordinaire et ses injustices sociales, qui protègent et rendent inaperçus ces dominants. S’il manque une pièce centrale à Vaurien, une identification plus prégnante dans sa mise en scène et un souffle narratif, la leçon est retenue, le sujet est original, les acteurs sont excellents (Pierre Deladonchamps et Ophélie Bau (intelligente utilisation après Mektoub my love et Marie Colomb entre autres), la géographie du sans abri est précise et le traitement de la violence en hors-champ est louable (surtout pour un réalisateur amateur de Haneke, Noé et Verhoeven). Comme la double personnalité de ce vaurien, le premier long-métrage de Peter Dourountzis ne manque pas de défauts mais certainement pas de qualités non plus. Dans l’attente d’un second long-métrage…


Ma critique imagée : https://lestylodetoto.wordpress.com/2020/12/16/vaurien-robin-deboires/

thomaspouteau
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le 16 déc. 2020

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