On aurait tendance à ne penser qu'aux images alors qu'il est possible ici, plus qu'ailleurs, que ce qui forme le regard, ce qui lui permet de se régler, c'est la musique. Et nous n'aurons d'ailleurs qu'elle - et si l'on veut les commentaires - pour nous mettre en condition devant les rites proposés. Rites qui montrent dans tout leur éclat leur consanguinité avec le spectacle. Notons tout de suite que la musique additionnelle (contrebasse avec archet) fait parfaitement le lien entre le "baptême psychique" donné par les percussions enregistrées lors des rites-même et notre extériorité occidentale de départ, notre sensibilité religieuse (s'il en reste...). Contrebasse, à la fois percussion et corde, et dont la forme a quelque chose du monde originel vaudou, d'une calebasse - j'oublie le nom du musicien - et qui intervient lorsque le son direct a manqué ou ne saurait suffire à nous conduire dans un monde second.
Mais la question fondamentale du film pourrait aussi être : et si ce monde second n'était pas le monde premier ? Si ce théâtre aux dimensions du monde - d'une société pour le moins - n'était pas la seule vérité et la seule connaissance offerte aux sens et aux regards ? Et que dire de cette manipulation qui demande notre foi : n'est-ce pas le cinéma lui-même ? Et si l'on écoute son sentiment, elle est d'ailleurs cette "tromperie" bien plus réelle, tangible, corporelle que 95% des vérités apprises et non relayées par l'expérience... Ici, la connaissance, c'est l'expérience de soi, même s'il est probable aussi que le rite passé, la transe ne laisse qu'une trace diffuse dans l'esprit, mais une trace tout de même... une image condensée de l'organisation du monde que nous avons en nous.
Le film ne montre que du rituel. Pas une image de la vie quotidienne. Au contraire des "Maîtres fous" par ex., il ne s'agit pas de mettre à jour une double face de l'être entre son comportement sous "rite" et son comportement "quotidien". Ici, l'immersion dans le vaudou est totale. Nous y sommes, à prendre ou à laisser. À l'évacuer par le rire, lorsque c'est possible ou à prendre tout cela au sérieux, si l'on veut. L'immersion (la proposition d'immersion) commence dès le début et se poursuit jusqu'à la fin, en passant d'une cérémonie, d'un rituel ou d'une initiation à l'autre avec clarté et en ménageant les variations, le son ici faisant écho à la nature de l'événement dont nous sommes témoin, recueillement, apprentissage ou, au contraire, transe, déchaînement de forces, etc...
L'immersion est aussi celle - obligée - des réalisateurs. Elle permet d'évacuer toute forme de voyeurisme, qui ne serait pas celle de la technique cinématographique elle-même. En tout cas, de l'interroger à certains moments particulièrement délicats...
Il faut aussi parler de la plasticité du film qui capte à merveille les formes en perpétuel devenir et la passage des esprits d'une matière par une autre, par la couleur par ex. : rouge sang, rouge latérite, terre, peau brune, visage atterré, et retour.
Pour mémoire :
I : cérémonie de la Panthère. Des initiés s'abreuvent de la force en buvant le sang au cou des cabris égorgés.