http://quarantedeuxenlettres.wordpress.com/2013/08/24/rewind-0-pilote-vanishing-waves/

NB : Ce texte est une variation à partir d’une critique précédemment écrite, et faisant plus de 13k signes.

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Petit film de SF minimaliste, second film de sa réalisatrice Kristina Buozyte, le premier en France ; film de science fiction lituanien qui a puisé dans un imaginaire déjà bien fourni mais peu employé en Europe ces dernières années au cinéma. Une esthétique 70′s, un visuel onirique fort. Une musique signée Poehl. Des pensées philosophiques et métaphysiques intéressantes. Des thèmes passionnants. La neurologie. Le réel, le virtuel. L’amour. Vanishing Waves.

Il s’agit d’une histoire d’amour, entre une jeune femme plongée dans le coma, et un scientifique cobaye plongé dans les méandres de l’esprit de cette dernière. Pour cela, il, Lukas, rentre dans un caisson d’isolation, machine inventée en 1954 par John Lilly, permettant une exploration de soi à partir d’une certaine durée d’immersion ; dans Vanishing Waves, cela permet à Lukas d’être en condition pour l’expérience, il n’existe alors plus que par son intellect, sa psyché. La cinéaste nous fait ainsi explorer une hybridation du réel et de l’actuel, selon une conception deleuzienne. Dans celle-ci “l’actuel et le virtuel sont en interrelation circulaire et productive, il en jaillit un réel en constante création et expérimentation“. Deleuze n’est pas le seul théoricien dont les idées sont implicitement abordées dans le film : lorsque la réalisatrice évoque l’inspiration de son œuvre, elle évoque la réalité, le quotidien, l’évolution de la société, et notamment la manière dont elle intègre la technologie, et comment la technologie intègre la vie des gens. L’ombre de Marshall MacLuhan rôde, avec bienveillance. Plus précisément, ce qui a intéressé Buozyte, c’est la disparition d’un espace physique au sein des relations sociales, et les problématique ainsi engendrées : rôle et place du corps dans les relations sociales et intimes. Dans Pour comprendre les médias, MacLuhan dit que “voir, percevoir ou utiliser un prolongement de soi-même sous une frme technologique, c’est nécessairement s’y soumettre” : on peut y voir non pas le mythe de Narcisse comme il est souvent évoqué dans l’imaginaire du canadien, mais plutôt le mythe de Faust, où on passerait un pacte avec le Diable. Mais dans le contexte de Vanishing Waves, le diable aurait alors des allures de Cupidon.

La problématique de l’influence est prépondérante dans ce long-métrage, car l’intrigue même du film repose sur ce principe d’influence, d’impact, puisque Lukas et la patiente comateuse Aurora s’alimentent psychologiquement et mutuellement, dans un cadre onirico-scientifique certes, mais ils fonctionnent par des feed-back que Norbert Wiener n’aurait pas renié. Mais Vanishing Waves n’est pas qu’éléments théoriques, bien au contraire ! Bien que l’ambiance froide des 70′s, soviétisante, donne un aspect parfois austère (antonionien ?), les scènes de rencontres dans l’esprit d’Aurora, sublimes, possèdent une esthétique onirique envoutante, due notamment au co-scénariste et directeur artisitique français Bruno Samper. Ces scènes sont les plus intéressantes et fascinent par leur inventivité et leur charge émotionnelle. D’une maison-métaphore léchée, à une orgie fusionnelle au sens propre du terme, Vanishing Waves nous emporte, et nous offre des scène qu’a fait naitre la collusion des esprits de Lukas et Aurora. Ce voyage, il est fait au côté du talent de Peter von Poehl, qui accompagne avec génie les images à l’écran : s’alternent classique et musique concrète, pour parfaire l’expérience sensorielle à laquelle on se livre face au récit de cette romance onirico-érotique. Érotique, oui, car si Kristina Buozyte s’interroge sur le rôle du corps, Lukas et Aurora en ont une idée bien précise pour servir leur passion, et ne s’en prive pas.

Toutefois, Lukas a eu des doutes, plus qu’on pourrait le croire. Galilée estimait que “le doute est père de création” est c’est parce que Lukas doute que le film existe. Il ne doute pas tant de la moralité de son action – soit omettre au reste du groupe expérimentale son originale relation – de l’éthique, mais de ses sentiments et émotions. Lukas est prit dans la nasse sensible de l’esprit d’Aurora. Cet esprit est réel, mais ne s’exprime pas dans un espace tangible ; on est dans l’inconnu, Lukas est de fait plus qu’un simple cobaye. Il doute de la réalité de son expérience sensible, de ses sensations et sentiments : à quel point ils s’accordent et reposent sur de la réalité, quel est le degré de reconstitution mentale ? Mais plus important encore : jusqu’où va-t-il aller ? A quel point va-t-il s’investir pour ce lien qu’il a créé ? A quel point va-t-il sacrifier sa vie pou s’ingérer dans celle de cette femme ?

On aura beau évoquer cybernétique et cyberculture, thèmes et mise en scène, sons et images, il est néanmoins évident que tout cela serait vain sans clore ce texte par l’Amour. A propos de la fin de 4H44 d’Abel Ferrara, également film de SF et romantique, tout comme de Vanishing Waves, on peut citer Nietzsche : “Ce n’est pas dans la façon dont une âme s’approche d’une autre mais dans la façon dont elle s’en sépare, que je reconnais son affinité et sa parenté avec elle”. Quoi de plus pertinent à propos de Vanishing Waves ? La rencontre de Lukas et Aurora n’est que le fruit d’un protocole expérimental. Leur séparation – qu’on taira ici – est le fruit d’un amour passionnel et accomplit, affranchit des contraintes des corps physiques, enveloppes corporelles négligeables face à la puissance de nos esprit.

Créée

le 24 août 2013

Critique lue 496 fois

Cthulhu

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