Manuel d’apprentissage – Jour 18 (encore)

--- Bonsoir, voyageur égaré. Te voila arrivé sur une critique un peu particulière: celle-ci s'inscrit dans une étrange série mi-critique, mi-narrative, mi-expérience. Plus précisément, tu es là au vingt-et-unième épisode de la quatrième saison. Si tu veux reprendre la série à sa saison 1, le sommaire est ici :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_s_new_groove/1407163
Et si tu préfère juste le sommaire de la saison en cours, il est là :
https://www.senscritique.com/liste/Vampire_2_King_Crocs/2478265
Et si tu ne veux rien de tout ça, je m'excuse pour les parties narratives de cette critique qui te sembleront bien inutiles...---


Évidemment que je ne m'arrête pas ici. *Le Vampire* de Jean Painlevé n'était qu'une curieuse (et inadaptée, quoiqu'en dise le présentateur pas très perspicace de cette double-séance) introduction aux *Vampires*, au pluriel cette fois, de notre bon ami John Carpenter. Il faut dire que j'attendais follement cette séance depuis le début du mois. Depuis, en fait, la fin de mon premier mois-vampire, que j'avais du amputer de cet incontournable, faute de temps (*Twilight* ou Carpenter, il fallait choisir...). Et puis très récemment, j'étais devenue anxieuse à l'idée de remettre les pieds à la Cinémathèque, au vu des récents événements, de leurs conséquences et de tout ce qui s'en suit. Bref, c'est humaine que j'ai pénétré cette salle, accompagnée d'humains, et c'est avec mon jugement humain, mon affect et mon objectivité humaine que j'ai jugé ce film. Sévèrement. Diable, voici la preuve qu'il ne faudrait jamais poser d'espoir trop douloureusement brisable sur les épaules d'un film. Carpenter, je te rencontrais ce soir pour la première fois, et la grandeur de mes attentes était à la dimension de celle de ma déception. 
Nous sommes en 1998. *Martin* est sorti 20 ans auparavant, *Le Cauchemar de Dracula*, 40. Nous sommes sur la fin d'une décennie qui aura vu naître sur ses écrans géants le *Dracula* de Francis Forc Coppola, *Entretien avec un Vampire*, *The Addiction*. Nous sommes en 1997 nom de non ! Et quand bien même on aurait été dans les années 30, cela fait des décennies que le vampire n'est plus un monstre-objet sur les écrans, des siècles dans les bibliothèques. Dire que le film est daté ne serait qu'un compliment. Ce film était déjà passéiste à sa sortie. Régressif sur tous les points. Les vampires ne pensent plus, ils ne sont que de simple bêtes sanguinaires qui ne voient pas plus loin que l'artère de leur prochain. Ils se terrent dans des endroits abandonnés comme des bêtes sauvages, ne communiquent pas, respectent une hiérarchie maître-esclave d'une simplicité aberrante. Je ne parle pas de la place des femmes, ou je vais devenir vraiment insultante. SI j'en parle tiens ! Alors joindre au vampire Alpha son petit harem de vamp esclaves sexuelles, certes ce n'est pas une première. Le fait que ça avait lieu dans les années 30-40 puis 50-60, avec les cycles Universal Monsters et Hammer n'excusent certes pas tout -après tout ils auraient pu être en avance sur leur temps- mais rendais tout de même la chose plus digeste. Partant du principe qu'en plus ce film prend pour référence des vampires bas de gamme et pas réfléchis pour un rond permet néanmoins de comprendre, si ce n'est d'accepter, ce traitement plutôt humiliant. Par contre, reproduire exactement le même schéma dans la société humaine, en donnant pour unique fonction au femmes la prostitution, en les massacrant toutes sauf une en début de métrage, et en gardant cet ultime représentante pour en faire un objet assez encombrant et pas très utile, là je suis en colère. Comme je l'ai déjà dit, on est en 1998. On peut excuser certaines choses à des films de patrimoine, mais les années 70 sont passées par là depuis longtemps dans notre cas. Pour continuer à critiquer ce délire sexiste absolument intolérable, je fais un petit crochet par cet espèce de bromance absurde et de bonhomme-machines dopés à la testostérone : c'est se tirer une balle dans le pied. Jouer la facilité de choisir des personnages clichés, même en voulant jouer la carte de l'humour ou du second degré, c'est également s'offrir des personnages insipides et déshumanisés qui n'attireront ni sympathie ni empathie. Et comme je l'ai bien souvent écrit, s'infliger pendant deux heures le sort de personnages dont on a absolument rien à carrer, c'est long. Alors les phrases et les situations de sexisme intenable s’enchaînent, se nichant dans cette vallée de l'étrange assez désagréable où on ne sait pas trop si l'on doit y lire un blague ou un point de vue, et ou on finit par tout analyser comme un défouloir sous la fausse bannière de la dérision. Je ne peux m'empêcher de me remémorer *Une Nuit en Enfer*, qui avait, lui, su poser dès le début les deux pieds dans le camp du grotesque, nous permettant de nous offrir un divertissement comme je l'avais alors écrit « décomplexé et instinctif ». (le fait que je commence à me citer moi-même me fait me poser quelques questions...). Même la fin, dont la stupidité est pourtant suffisamment immense pour qu'on puisse penser que là, il n'y aurait pas de question à se poser sur la sériosité ou non de la chose, est mise en scène de cette manière étrange, mi-débile mi-dramatique, nous laissant dans cette inconfortable impression d'avoir le cul entre deux fauteuils. Je n'irai même pas parler plus en détails de toutes les autres incohérences : ni la naïveté exemplaire de l'ensemble de l'humanité qui reste dans l'ignorance malgré un manque de discrétion assez phénoménal, ni l'inexplicable inégalité entre les résistances des différentes créatures de la nuit (celle qui meurent à la moindre balle dans le tibia, tandis que d'autres peuvent se transformer en passoire sans que ça ne les émeuve), ni l'utilisation massive d'armes connues même par leurs utilisateurs pour être inutiles, ne m'auront réellement surpris ou émue, blasée que j'étais par la médiocrité générale de la totalité du film. J'avoue, et pour permettre à mes détracteurs de se déchaîner sur moi sans complexe, avoir piqué du nez à une ou deux reprise, tant la lassitude et le désespoir se faisaient pesant.
Les vampires, les vrais, me regardaient de travers à la sortie de la séance. Puisque j'avais vaincue leur reine aucun n'a bien évidemment osé s'en prendre à moi ouvertement, mais je sentais bien dans leur regard le mépris et l'incompréhension de mon acte. Je n'ai pas tuée la reine. Elle m'a trouvée et nous nous sommes battues toute la nuit, dans un combat qui ne pouvait trouver d'issue juste, nos deux forces étant symétriquement égales. Je la soupçonne même d'avoir fait exprès de sembler distraite une fraction de seconde, me laissant prendre l'avantage. Après tout le jour allait se lever, elle aurait été vaincue par sa nature même, et je pense qu'elle préférai se voir mourir de mes mains que de celles du soleil. Mes deux pattes avant lourdement enfoncées dans ses épaules, elles-mêmes plaquées contre le bitume froid de l'avenue déserte dans laquelle nous nous affrontions, j'ai plongé mon regard dans le sien une dernière fois, déterminée à l'achever. Dans cet ultime échange de regard, j’ai revu défiler tout ce mois, tout ce que nous avions vécu, les erreurs que nous avions commises, l'intelligence que nous avons partagé de la situation et du naufrage de nos races qu'il fallait éviter. J'ai repensé à ma meute, disséminée, heureuse, en danger, aimée. A la sienne, dans la même situation. A nos destins liés. A Lycaon. J'ai mordu sa gorge, comme un vampire l'aurai fait à une victime qu'il voulait changer. Venant de moi, ça n'avait bien entendu aucune répercussion physique, mais un message. Je lui ai dit de dire autour d'elle que je l'avais vaincue et que je l'avais laissée vivre. Je lui ai dit aussi que je remettais mes fonctions d'Alpha et que j'agirai maintenant en solitaire, émancipée de toute autorité, donnée ou reçue. Je lui ai dit qu'elle ne me reverrai jamais. Je l'ai laissée là, son sang froid coulant sans dangerosité sur le goudron, et la promesse d'un lever de soleil paresseux sur l'horizon. Humiliée mais en vie. Je savais qu'elle n'aurait pas le courage de se montrer en public ce soir, ni dans les semaines à venir. Peu importe, elle est toujours reine, et vu les regards fuyants qui m'ont scrutés ce soir, elle le restera. Sa force est indiscutable et inégalable par ses pairs. Elle massacrera le moindre prétendant au trône sans pitié. Et moi, je ne ferais plus jamais ça. Je ne serais plus l'alpha que de ma propre solitude.
Zalya
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le 10 nov. 2019

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Zalya

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