Quand le quotidien du peuple s’avère trop morose ou routinier, les journaux sont là pour déchaîner les passions et alimenter les débats. Observateurs lointains contemplant le sort de leurs concitoyens dans les transports ou en buvant un café, souvent tiraillés entre la colère face à leur situation et une satisfaction toute relative. Au milieu du remue ménage, tapis dans l’ombre, à l’affût du dernier scoop, le Picture Snatcher guette sa proie.


Permettez-moi, tout d’abord, de préférer au titre français le titre original. Renommé « Un danger public » dans nos salles, comme pour faire écho à L’Ennemi Public, autre grand rôle de James Cagney, le titre devient largement moins évocateur. Picture Snatcher nous ramène donc au début des années 30, à la fin de la Prohibition et au début de la crise, situation symbolisée par la sortie de prison d’un ancien truand cherchant à gagner sa vie à nouveau, mais de manière légale. L’âge d’or des gangsters est révolu, mais les temps sont durs, et il n’y a plus moyen de refuser un travail, aussi dangereux puisse-t-il être. C’est donc dans cette optique que Danny, sans peur et plein d’entrain, se lance dans la photographie clandestine, pour alimenter les articles d’un journal à scandales.


Picture Snatcher s’avère particulièrement judicieux dans le traitement du personnage principal et son rapport au spectateur. Claquant la porte aux gangs, partant de rien, blagueur et beau parleur, Danny est un personnage qui suscite de la sympathie, on veut le voir réussir. Pourtant, ce nouveau travail tourne vite à l’obsession pour lui, créant chez lui une véritable soif de scoops, le poussant aux limites de la morale. Le spectateur, comme embarqué avec lui, soutient la démarche de Danny, mais dans ses dangereuses combines, il heurte également le spectateur face aux limites de sa propre morale. En réalité, ces limites se manifestent à plusieurs échelles, que ce soit à celle de Danny, la nôtre, le journal, les lecteurs des journaux ou encore les forces de l’ordre. Si seulement quelques personnages nous sont ici présentés, on ressent largement les poids des regards, les conséquences et les tenants et aboutissants de cette culture du scandale, profitant souvent du malheur de certains pour nourrir la complaisance de tous ceux dont les yeux sont braqués sur ces faits divers.


Picture Snatcher, de par son ton souvent enthousiaste et dynamique, semble traiter son sujet avec légèreté, mais il est impossible de ne pas y déceler une ironie persistante et permanente. L’ironie d’une société qui raffole des ragots et des scandales, qui s’en abreuve à travers les médias, mais qui demeure incapable de les affronter de face, comme le montre la scène de la chaise électrique. On décèle ici une certaine paternité avec de futurs films comme Le Gouffre aux Chimères de Billy Wilder, qui expose les vices d’une société en soif de buzz, et Night Call, de Dan Gilroy, dont le personnage principal présente un certain nombre de similitudes avec celui de Picture Snatcher, dans cette addiction au scoop, le voyeurisme et la quête de la primeur à tout prix. Les trois films explorent, à des époques différentes, les limites morales du journalisme, mais l’éternelle pression de la société qui en veut toujours plus.


Ainsi, l’ancien criminel, cherchant à retrouver sa place dans la société, doit-il de nouveau frôler l’illégalité, pris dans une boucle infernale, dans une époque rude pour la société américaine, quittant l’âge d’or des mafias et entrant dans des années 30 rongées par la crise. La rédemption recherchée par Danny devient impossible et illusoire, à l’image de celle de James Allen dans Je suis un évadé, contemporain du film de Lloyd Bacon. Picture Snatcher est un film dynamique, bien construit, souvent léger d’apparence, mais suffisamment sérieux pour que le spectateur se sente concerné par les enjeux, et demeure préoccupé par l’issue finale. En effet, en dépit d’une approche très grand public qui garantit au spectateur un moment sympathique, le film demeure plein de gravité, presque fataliste. On est encore à l’époque Pré-Code, ce qui donne beaucoup d’authenticité au film, taquin et coquin par moments. James Cagney récite ici ses gammes dans un rôle qui lui va à merveille, dans un bon film, cohérent et prenant, moderne, qui montre aussi que, toutes ces années après, rien n’a vraiment changé.

JKDZ29
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le 25 nov. 2018

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