Une étoile est née: la renaissance de Judy la sublime...

Si Une étoile est née n'est probablement pas le meilleur film sur Hollywood (dans les années '50 ça a fleuri et pour moi rien ne pourra égaler Les Ensorcelés...), si elle souffre de quelques longueurs et d'une certaine "rigidité" propre aux films Warner (major à la fois avant-gardiste [eh! c'est la première tragédie musicale quand-même...seulement le thème du rapport entre artistes avait été tellement traité dans ce studio que le "coup" est passé presque inaperçu...], plus critique que les autres sur la société en général, mais très conscient de sa puissance et violemment "pro"), elle n'en demeure pas moins un film phénoménal porté par un scénario en béton armé, un superbe technicolor, une excellente utilisation du cinémascope, des chansons à tomber, et surtout des personnages bouleversants...
Il s'agit probablement du meilleur Cukor: le réalisateur, perfectionniste, a cru en son film au point de laisser ces petites longueurs que j'ai évoquées plus haut. Et je trouve ça, en fait, très touchant, car on voit qu'il mitonne chaque plan avec amour, qu'il prend un soin extrême à choisir chaque ambiance, chaque pièce de décor, et qu'il filme ses personnages avec une empathie telle que le spectateur ne pourra que la partager...
Et cette empathie elle se manifeste d'abord pour le personnage de Norman, joué par l'excellent, le classieux, le monstrueux, le merveilleux James Mason... Dès la première scène en-effet nous voyons cet acteur totalement ivre gâcher une cérémonie dont il était l'invité vedette, et nous voyons qu'en dépit de ses airs et de ses manières aussi déplacées que maladroites cet homme souffre et se rend compte qu'il est en train de se détruire. Au fil du film sa déchéance sera d'autant plus bouleversante qu'on ne voit jamais en lui quelqu'un d'irrécupérable et que tout est là pour nous prouver qu'il est profondément gentil et que son amour pour Esther est immodéré (pour elle il fera la plus belle et la plus triste chose qu'un homme puisse faire...). James Mason le campe de façon proprement hallucinante: chaque nuance, chaque espoir, chaque doute, chaque peine du personnage est perceptible sans jamais que cela paraisse forcé ou "gratuitement" mélodramatique... Or, Une étoile est née est avant tout un film porté par ses personnages et Norman aurait pu à lui tout seul faire sa réussite, mais ce ne fut pas le cas...pour notre plus grande joie...
Car Esther, plus "humaine" dans l'absolu, est le deuxième maillon de la chaîne et si Norman est la base du film (le personnage "agissant"), Esther en est la raison d'être: le personnage principal qui accomplira sa destinée dans une dernière scène aussi émouvante qu'amère mais qui correspond en tous points à la devise des saltimbanques que chaque artiste, au fond de lui, a faite sienne... Toujours innocente mais jamais faible ni mièvre, Esther croit en elle mais elle porte son amour comme un feu qui à la fois l'éclaire et la consume; un feu dont peut-être seul Norman sait qu'il doit s'épanouir en dehors d'elle pour atteindre sa destinée. Et ce personnage aussi émouvant et fort que fragile est campé par une dame extraordinaire qui faisant son come-back lors de ce film et qui aurait DÛ obtenir l'Oscar de la Meilleure Actrice: Judy Garland.


Dans ce film, Judy a en-effet accompli LA performance de sa vie, et peut-être du cinéma... Elle méritait l'Oscar cent fois! d'abord en tant qu'actrice: son jeu est d'une perfection rarement égalé, certes servi par un script "au diapason" mais qu'elle sait à chaque instant exalter de telle façon qu'elle "irradie" toutes ses scènes d'une aura proprement magique...et qu'elle donne un mérite fou à James Mason de savoir autant "exister" face à elle, qui plus est sans besoin de cabotiner: et ça c'est la marque d'une actrice non-seulement fantastique mais profondément généreuse...
Ensuite en tant que chanteuse: Une étoile est née est en-effet une comédie musicale et dans les numéros de chant (centrés exclusivement sur elle) Judy non-seulement déborde de charisme (là on sent qu'elle s'accapare entièrement la scène et qu'elle est vraiment heureuse...) mais nous gratifie d'une performance vocale extraordinaire! sa voix grave, reconnaissable entre toutes, allie cette puissance, cette sensibilité et cette justesse que seuls les plus grands chanteurs peuvent revendiquer: à elle seule elle aurait transformé un navet en film mémorable, or Une étoile est née aurait été un grand film avec une chanteuse seulement médiocre (je ne cite aucun nom...), donc l'un dans l'autre... Mais plus encore que l'actrice, plus encore que la chanteuse, plus encore que l'actrice ET la chanteuse, Judy méritait l'Oscar en tant que femme...
Une étoile est née a été un tournage long, très long, et Judy, qui revenait au cinéma après une absence de quatre ans, était encore d'une santé plus que précaire...et ses ennuis l'ont rattrapée au bout de quelques mois (de façon tragiquement ironique, le destin de Judy ressemblera à celui des deux personnages principaux du film...). Pourtant l'équipe, Mason et Cukor en tête, ne lui ont jamais reproché ses absences et coups de moins bien, mais l'ont tout au contraire soutenue et ont loué son honnêteté et ses immenses efforts à la fois pour être à la hauteur des attentes et pour ne pas trop retarder le tournage. Quand on voit le résultat, on a parfois envie de se dire que Liz Taylor (LA miss-caprices d'Hollywood) aurait pu, par moments, la mettre un peu en veilleuse...


Pour ce scénario sans défaut, pour cette maîtrise parfaite de la réalisation, pour ces chansons du feu de Dieu, pour cette histoire aussi cruelle que bouleversante, pour MR James Mason et (peut-être plus que tout...) pour la divine Judy, ce film est un monument à ne rater sous aucun _ je dis bien AUCUN! _ prétexte!..

Sudena
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le 5 juin 2016

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