Moins une double critique qu'une réflexion menée autour de deux films sortis en cet été 2018, le billet suivant se focalisera sur un axe de lectures personnelles. Il pourrait s'étendre et se nourrir par bien d'autres œuvres et considérations. Mon appréciation personnelle de ces deux films, How To Talk to Girls at Parties et Under The Silver Lake, rejoignant ce qui a été beaucoup dit, il me semblait préférable d'approfondir une estime qui m'a traversé dans ce dernier et dont les souvenirs du premier me font écho.
Ce qui est frappant dans Under The Silver Lake, c'est que son protagoniste principal joué par Andrew Garfield est très instable. Hors dans ce film absolument tout nous est donné à voir de son point de vu. La part de fantasme de ce récit m’apparaît donc évidente (peut-être est-ce mon côté pragmatique). La nouvelle de Neil Gaiman (How To Talk to Girls at Parties ) et l'adaptation qu'en fait John Cameron Mitchell ne sont pas en reste pour ce qui est du fantasme. A leurs manières, ces deux récits nous amènent d'un quotidien réel à un univers délirant. Tous deux à travers les yeux d'une certaine jeunesse.


Dans Under The Silver Lake, la galère de Sam (Andrew Garfield) est concrète. Il ne semble aucunement épanoui dans sa vie et cherche des sensations; dans le regard d'une fille ou la découverte d'un mystère. Il se laisse clairement aller à l'errance et l'oisiveté, ne se souci pas de la menace d'expulsion suite à ses loyers impayés et ne semble aucunement ouvert à ses proches. Semblant plus d'une extrême nonchalance que d'un quelconque mal-être. Les jeunes dragueurs qui se rendent à la fête dans How To Talk To Girls At Parties sont aussi assez désœuvrés, cela dit, bien plus déterminés. Si Enn (Alex Sharp) a peut-être manqué d'une figure paternelle, Zan (Elle Fanning) est en dehors de toute case familiale.
Ce n'est pas tout à fait la même génération, ni la même époque, dont il est question dans ces deux récits. Mais ils ont aujourd'hui, en 2018, une résonance tout à fait contemporaine; notamment par ce point commun de confronter une certaine jeunesse à la dérive de la pensée. Sam et Enn voient leurs coups de foudre plonger dans des sectes, aliénée ou bien illuminée. L'issue de ces romances est en revanche opposée. Si la relation de Enn et Zan semble pouvoir finalement dépasser les différences et sortir cette dernière de la folie, le parcours de Sam semble bien plus tragique. Comme le ton du film de John Cameron Mitchell est bien plus léger que celui de David Robert Mitchell (aucun lien de parenté).
Dans ces deux histoires les protagonistes manquent cruellement de personnalité, non par défaut scénaristique mais par circonstance. Enn et ses camarades ne se définissent que par le code punk, Zan est formatée par sa secte, quant à Sam il vit sa vie par procuration. Ce dernier baigne excessivement dans la pop-culture. Des références (toujours très cool) aussi envahissantes au film qu'à la vie de Sam. Les références ça enrichit mais seules elles ne suffisent pas. C'est comme faire une critique de Under The Silver Lake en disant uniquement qu'on a pensé à Mulholland Drive, Body Double, Hitchcock ou Thomas Pynchon. Tout chez Sam est trop influencé. Ses fantasmes se limitent à des icônes et un vieux numéro de Playboy, jusqu'à les projeter dans son quotidien, comme une écran de fumée entre lui et la réalité. Son comportement et ses réflexions ne sont jamais très avisés, comme le jugement qu'il porte à un SDF ou la violence dont il fait preuve face aux petits voyous. Tout cela le rend absolument antipathique.
Ce personnage est intéressant dans ce qu'il a de représentatif de notre société contemporaine. Il épie autour de lui avec un regard lointain de spectateur crédule. Il est mené par le bout du nez, tiré par la méfiance et la paranoïa; plus intéressé par ce mystère que par ses proches, plus à l'écoute du perroquet de la voisine (et son potentiel message codé) que de la voisine elle même. Absolument tout ce qui vient interférer dans sa vie devient un indice qui nourrit son délire, un avertissement sur la devanture d'un café (que seul Sam semble considérer), une nouvelle voisine, la passion de sa mère pour Janet Gaynor. Une attitude déconcertante pourtant pas si loin de notre société qui se méfie avant de prêter attention à ce qui l'entoure. Sam est seul parce qu'il s'isole, il écourte les appels avec sa mère et ne fait aucune place à ses amis. En somme il fuit ses responsabilités et cherche bien trop loin le sens de son existence. Dans How To Talk To Girls At Parties, la rencontre de Enn et Zan va à l'encontre de cela. C'est une opposition positive à toute fatalité et une prise de conscience intime naturelle. Ils se trouvent ensemble une direction et des convictions personnels et intimes.


La notion de "vivre un cauchemar" peut finalement facilement s'illustrer. Comme pouvait le faire The Neon Demon, il est parfois bien inspiré de donner une tournure délirante au contexte réel installé. C'est d'autant plus vrai quand la problématique est parlante et actuelle. How To Talk To Girls At Parties comme Under The Silver Lake nous surprennent en nous entraînant dans un cauchemar éveillé.
La part d'onirisme est clairement suggérée dans ce dernier. Les scènes hallucinés s’intercalent précisément avec les moments de sommeil de Sam. Pour autant, elles sont tout à fait raccords avec l'ambiance générale du film. Ce polar noir prend vite un ton fantasmagorique. Alors l'ombre d'un doute plane perpétuellement sur la réalité de ce qui nous est donné à voir; ce qui conforte le point de vu de Sam. La mise en scène accompagne ses ressentis. La musique, parfois impromptue, et les effets alimentent la paranoïa et illustrent les pensées du jeune homme. Quant à l'adaptation de la nouvelle de Neil Gaiman, elle part très loin dans l'hallucination. L'univers de Zan (la secte) est follement kitsch. On y croise des énergumènes aux us, coutumes et costumes improbables. La réalisation de David Robert Mitchell s'accorde également à cette folie et offrent des plans mystiques assez déconcertants.
Les contes, les fables ou les mythes sont saisissants quand il font lien avec notre réalité. On retrouve des figures et des codes du mythe sombre dans ces deux récits. En parfaite fidélité avec le texte originel, How To Talk To Girls At Parties est narré sous cette forme, notamment sur l'utilisation de la première personne. Avec la tonalité d'un polar noir, des figures étranges et très animalières traversent Under The Silver Lake. Les putois, les (tueurs de) chiens, les coyotes ou la femme-hibou accentuent l'atmosphère mystique. Ce sont des légendes urbaines autour duquel le mystérieux scénario de David Robert Mitchell s'articule. Ces figures oniriques sont bien les représentations de craintes, de drames ou de problématiques bien réelles.


How To Talk To Girls At Parties et Under The Silver Lake sont avant-tout deux films singuliers.
Le premier signé John Cameron Mitchell (Shortbus) est joyeusement punk et a l'imaginaire bien inspiré. Une adaptation qui assume sa folie et réussi à parfaire la nouvelle de Neil Gaiman.
Under The Silver Lake est un parcours fleuve dans un Los Angeles subjuguant et inquiétant. Un film très maîtrisé, hommage multiple au grand cinéma Hollywoodien. Après It Follows, David Robert Mitchell confirme son talent de réalisateur-créateur d'ambiances.

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le 24 août 2018

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Adam Kesher

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