On pourrait faire un jeu pour commencer, histoire d’annoncer la couleur, en tentant de deviner de quel film est tiré le scénario suivant : un personnage a raté sa vocation d’acteur(trice) à Hollywood, sa liaison amoureuse avec une jolie fille, partie avec un autre, est terminée, et ce personnage-là, en dépression et vivant dans un appartement un peu défraîchi, échappe à sa morne réalité en trouvant refuge dans ses rêves qui remodèlent cette réalité. On pense évidemment à Mulholland Drive. On pense à Diane qui a tout raté, sa carrière et sa relation avec Camilla, à Diane chez elle qui ressasse, qui broie du noir, confondant cette réalité terrible, la sienne, avec la magie inquiétante de ses rêves.


Sauf qu’on pense aussi à Sam, l’antihéros de ce Under the silver lake grumeleux, trop long, et qui s’entête à jouer et rejouer le chef-d’œuvre de David Lynch. Les rapprochements sont d’ailleurs tellement évidents qu’on suppose un mauvais remake, peut-être une mauvaise blague. L’amour à jamais perdu ressemble à une star du cinéma, à Rita Hayworth (Camilla dans Mulholland Drive) ou à Marilyn (Sarah dans Under the silver lake), les rêves servent d’exutoire et au renoncement, Los Angeles n’est qu’une sorte de trou noir œuvrant à la mise en abîme des mythes et des illusions, Patrick Fischler fait une apparition tout aussi remarquée que celle dans Mulholland Drive et on revient inévitablement à son point de départ (la chambre dans Mulholland Drive, le petit restaurant dans Under the silver lake).


Surtout, on s’endort ou se réveille (Sam passe son temps à s’évanouir, à piquer du nez, à s’assoupir, puis à s’éveiller avec un air de zombie errant dans une cité des anges quasi dépeuplée) sans pouvoir échapper à son destin, à sa propre finalité : désabusé et triste sur un canapé, ruminant ses échecs à la fois sentimentaux et professionnels avec un pistolet pas très loin, à portée de main. Si Diane finissait par se suicider, qu’en est-il de Sam ? La dernière scène, où celui-ci observe son appartement (où a été peint en grand le signe "silence" du "code des vagabonds", comme un rappel au silencio de Mulholland Drive) du balcon d’un autre appartement, suppose-t-elle qu’il s’est lui aussi donné la mort, qu’il est désormais extérieur à sa vie ?


Au-delà des nombreuses connexions possibles, Under the silver lake ne fonctionne pas quoi qu’il en soit tant il se perd en sous-intrigues, vraies (fausses) chausse-trappes et amas de références (Mulholland Drive donc, mais aussi les variations californiennes de Bret Easton Ellis, The big Lebowski, Body double, Inherent vice ou encore Southland tales pour ce côté bordélique et un rien parano dans un L.A. labyrinthique). Sorte de jeu de piste loufoque, de collage sous influence pop et 50’s, le film de David Robert Mitchell, certes d’une fort belle tenue (mise en scène, musique, photographie, interprétation, tout est nickel), ne tient la distance que dans sa première demi-heure avant de progressivement s’essouffler, puis se désintégrer en vol (c’est qu’il faut, sur presque 2h30, pouvoir assurer l’enchaînement continu de multiples déambulations et autres divagations).


La narration, et malgré un fil rouge déterminé (retrouver Sarah qui a disparu), finit par se distordre d’un trop d’embardées dont certaines intéressent peu, et d’autres pas du tout. La quête de Sarah trahit en vérité les errements existentiels de Sam dans un monde replié, saturé, angoissé. Un monde de signes, d’icônes et d’ersatzs qui semblent le convaincre d’un réel tangible, auquel se raccrocher, mais que rien, ni quelques classiques du septième art (Gilda ou Sunset Boulevard dans Mulholland Drive, Comment épouser un millionnaire ou Fenêtre sur cour dans Under the silver lake) ni les légendes alentour ni la musique (la scène avec le pianiste-fossoyeur) ni la fièvre vintage, ne pourra et ne saurait sauver d’un inexorable oubli.


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mymp
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le 15 août 2018

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