J’aime Un taxi pour Tobrouk depuis toujours. La fin brutale, tranchant des happy-ends des films de mon enfance, m’a marqué à vie. Ce film est souvent présenté comme un road-movie pacifiste, c’est oublier que le désert se caractérise pas son absence de route. Nous suivons cinq naufragés, admirablement joués et dirigés, confrontés à une nature hostile et aux aléas douloureux d’une guerre aveugle.


Quatre commandos français ; un boxeur poids moyen parisien, le brigadier Théo Dumas (Lino Ventura) ; un juif germanophone, le légionnaire Samuel Goldmann (Charles Aznavour) fils de rétameur en passe d’être diplômé de médecine ; un bourgeois d’Albi, François Gensac (Maurice Biraud), gentiment cynique et engagé après « s'être toujours ennuyé » ; un républicain espagnol réfugié en France, condamné à mort par les Allemands, Jean Ramirez (Germán Cobos) ; errent dans le sud libyen après la perte de leur véhicule et la mort de leur chef. Ils éliminent une patrouille allemande, capturent un 4x4 et un hobereau prussien francophile, officier de carrière, le capitaine Ludwig von Stegel (Hardy Krüger).


La situation rappelle Lifeboat (1944), la contribution d’Alfred Hitchcock à l’effort de guerre allié. Une poignée de civils recueillent dans un canot de sauvetage le capitaine du sous-marin qui vient de les torpiller. Willy (Walter Slezak) se révèle le seul apte à les diriger, il les sauve de la tempête, mais le nazi ment, triche et assassine le marin qui a lu dans son jeu. Les naufragés se révoltent et le tuent.


Nos quatre soldats sont perdus. Herr Hauptmann les sort de sables mouvants, puis du champ de mines. Il prend le contrôle du véhicule, mais ne pourra éviter de s’endormir… Les épreuves partagées rapprochent les adversaires, le capitaine cuisine et partage son eau de vie. Gensac constate : « C'est toi (Ramirez) qui avais raison. À la guerre, on devrait toujours tuer les gens avant de les connaître. » Mon ami Lino en vient à regretter de le livrer à la police militaire… Krüger est le prototype du bon Allemand ! The good german. L’heure est à la réconciliation franco-allemande. De Gaulle et Adenauer l’officialiseront le 8 juillet 1962 dans la cathédrale de Reims.


J’admire Michel Audiard, pourtant je dois admettre que si son inégalable plume transcende les comédies, elle passe moins bien dans les drames réalistes. Nous sommes au milieu du Sahara, à la veille d’El Alamen, le soldat François Gensac : « Mon cher Ludwig, vous connaissez mal les français. Nous avons le complexe de la liberté, ça date de 89. Nous avons égorgé la moitié de l'Europe au nom de ce principe. Depuis que Napoléon a écrasé la Pologne, nous ne supportons pas que quiconque le fasse à notre place. Nous aurions l'impression d'être frustrés. » C’est comme si, alors que les GI s’apprêtent à se jeter sur les plages du Mur de l’Atlantique, un sergent déclame soudain un quatrain d’alexandrins pour souhaiter bonne chance à son escouade. C’est trop, jetterait mon ado de fils.


Un dernier mot sur la fin et l’obus assassin qui élimine 80 % de l’effectif. Les tirs amis représentent de 10 à 15 % des pertes des conflits du XXe siècle, soit pour la seule France 170.000 morts et 400.000 blessés pour la seule Grande guerre ! Putain de guerre.

Step de Boisse

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