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Un Métier sérieux constitue, sans aucun doute, le plus mauvais film de Thomas Lilti, alors même qu’il s’inscrit dans une trajectoire cohérente depuis le monde hospitalier (Hippocrate) vers celui de l’Éducation nationale, en passant par l’université de médecine (Première Année). L’application machinale du dispositif consistant à composer une mosaïque de petites scènes de la vie quotidienne conduit le réalisateur à perdre de vue les élèves pour se concentrer presque exclusivement sur le corps enseignant ; or, il s’agit là d’une importante amputation puisque l’on ne saurait penser ce métier sans représenter le public auquel il s’adresse et pour lequel il existe. La cohésion d’équipe ne suffit pas : l’essentiel réside davantage dans la transmission, notion guère exploitée ici sinon lors de remises en question individuelles tirées comme des ficelles mélodramatiques.

Lilti ressemble à son enseignante de sciences naturelles : bloqué entre le tableau à craie et le bureau, il ne s’adresse qu’à lui-même sans tenir compte des autres. De plus, il formule une thèse curieuse : tout enseignant consacrerait sa vie à la classe faute de s’épanouir dans son propre foyer, au sein duquel il se révèle être un piète parent ou conjoint(e). Ce constat pessimiste, lubie étrange et hautement contestable, contraste avec l’éloge artificiel de la camaraderie enseignante, tout entière écartée des rivalités et des diverses tensions présentes au quotidien en salle des profs, à la cantine ou dans les couloirs. Comment concilier l’approche naturaliste avec ces partis pris relevant ou d’une connaissance partielle du terrain ou d’une déformation par sélection ?

Le film finit par ne plus rien dire, cultive la prudence, n’assène les coups que sur celles et ceux qui sont publiquement détestés tels l’inspectrice académique, outrageusement caricaturée, ou le principal adjoint, invisible. Nous ne sentons pas s’écouler le temps de l’année scolaire, ni celui d’une période de cours entre deux de vacances, ni même celui d’une heure de cours ; le brevet des collèges n’est que peu préparé ; la cour de récréation reste souvent vide. L’unique intérêt du long métrage serait d’interroger la pertinence du conseil de discipline, impasse pour l’élève qu’il exclut, pour ses parents dépassés, pour les professeurs et les membres de l’administration qui y siègent. Les comédiens s’avèrent également excellents – François Cluzet, truculent ! Adèle Exarchopoulos convaincante en pédagogue proche de ses élèves, et Vincent Lacoste très juste dans le rôle d’un enseignant débutant. Deux raisons qui ne sauraient justifier le visionnage en salles d’Un Métier sérieux.

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le 17 sept. 2023

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