Ça commençait pourtant bien. La mise en bouche promettait. Dès le départ c’est flamboyant et organique, plein de néons et de cuir, de belles gueules et de mélodies eighties (et de meurtre à l’arme blanche), telle une réminiscence humide, poisseuse du Cruising de Friedkin. En quelques minutes, Yann Gonzalez parvient à brasser, à honorer toute la quintessence d’un cinéma queer et de genre en empruntant autant à Dario Argento qu’aux premiers Almodóvar ou De Palma, et invoquant à l’envi Kenneth Anger, Fassbinder, Bruce LaBruce ou Derek Jarman. Si la suite s’ingéniera, esthétiquement, à préserver à tout prix cette tendance et ces influences, elle peinera pourtant à convaincre de ses aspirations scénaristiques.


À travers cette histoire de productrice de films porno gay au début des années 80 (inspirée par Anne-Marie Tensi), tourmentée par un serial killer décimant ses acteurs et par sa liaison révolue avec Loïs, sa compagne et monteuse, Un couteau dans le cœur cherche à sublimer la matière pure et secrète du désir faite d’exaltations, de fantômes et de corps. Car sous les ornements interlopes et maniéristes du film, c’est l’amour qui prévaut avant tout, l’amour qui nourrit les personnages de sa conscience et de ses pulsions (pour Anne comme pour le tueur), et l’amour enfin transcendé par celui du septième art, son histoire, sa substance et ses formes (Anne et Loïs semblent s’aimer encore dans le traitement, dans la manipulation des rushes, des plans et du montage des films sur lesquels elles travaillent).


Bizarrement, le film est davantage convaincant quand il pastiche, quand il se construit de références et de symboles que quand il cherche à aller au bout de son intrigue. Toute la partie champêtre où Anne (Vanessa Paradis, surprenante) recompose le passé du tueur et ranime son destin tragique est d’un ennui absolu, brisant soudain l’incroyable dynamique queer du film. Gonzalez est manifestement plus à l’aise à manier la déclinaison fétichiste (déjà dans Les rencontres d’après minuit) que le rythme dans l’écriture ; tant pis donc pour la mise en bouche et ses affolantes promesses. Mais Un couteau dans le cœur procure assez de frissons et de plaisirs pour l’aimer quand même un peu, pas mal, de toute façon, et jusqu’à ce magnifique générique de fin qui paraît présager du déclin (Sida, conformisme, puritanisme…) d’un monde alors plus libre et plus aventureux.


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mymp
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le 29 juin 2018

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